6 octobre 2011

S’arracher un morceau de chair


Je n’aime pas vraiment les expressions telles que : « Soyez disposés à mettre le prix! » ou encore : « Qu’êtes-vous prêts à sacrifier? » Elles contiennent un petit côté maso et misérabiliste qui enlève du piment au simple plaisir de l’existence. Il faut toutefois admettre qu’elles possèdent sans doute une bonne teneur en vérité, juste assez en tout cas pour accepter le fait « qu’il n’y en a pas de facile », surtout lorsque nous affrontons de véritables difficultés qui exigent créativité, effort d’invention et courage dans la recherche de solutions.

Dans l’histoire qui suit et que nous retrouvons dans son livre En vivant, en écrivant, Annie Dillard fait ainsi le parallèle entre l’écriture et l’obligation parfois de s’arracher un morceau de chair pour survivre et aboutir à un résultat ou une délivrance. Christian Bobin, lui, parle de « saigner de l’encre et perdre ce qu’on est au profit de ce qu’on voit. »

« Par un mauvais hiver, dans l’Arctique, il n’y a pas si longtemps, une femme algonquine et son bébé restèrent seuls après que tous leurs compagnons furent morts de faim dans leur camp d’hiver. Ernest Thompson Seton rapporte cette histoire. Cette femme s’éloigna à pied du camp où tous les autres étaient morts et elle trouva une cachette au bord d’un lac. La cachette contenait un petit hameçon. Elle n’eut pas de mal à y accrocher une ligne, mais elle n’avait pas d’appât et aucun espoir d’en trouver un. Elle prit un couteau et découpa un morceau de chair sur sa propre cuisse. Elle pêcha ainsi avec sa propre chair pour appât et attrapa une perche; en nourrit son propre enfant et se nourrit. Elle mit bien sûr de côté les viscères du poisson pour son prochain appât. Elle vécut seule au bord du lac, se nourrissant de poissons, jusqu’au printemps, quand elle repartit à pied et rencontra des gens. »

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