Ça ne devrait plus me
surprendre… mais ça me surprend encore. Une image, une pensée, des mots qui
surgissent comme un éclair dans l’obscurité, sans que je m’y attende, ou
péniblement, à la dure, après avoir creusé, approfondi, peaufiné.
Il y a ce léger plus, le
détail oublié, l’angle de vue différent qui oblige à respirer et prendre du
recul, accepter l’inconnu. Il y a le mouvement, et cette vie et cette mort qui changent
tout.
Je suis curieux et je cherche
à comprendre, depuis toujours. Jeune adulte, j’essayais parfois de donner mon opinion
sur différents sujets. Je me souviens de la difficulté à m’exprimer clairement,
à préciser ma pensée, à poser quelques mots sensés les uns à la suite des
autres. J’employais tout le temps qu’il faut... pour me faire couper la parole. On
ne supporte pas l’hésitation, précisons-le. Alors, j’ai pris l’habitude de me
taire, d’écouter. Il me semblait entendre toutes sortes de propos intelligents
qui coulaient de source de la part de mes amis, parents ou connaissances.
Comment faisaient-ils? Était-ce un don? J’enviais leurs certitudes, j’enviais leur
aisance, leur clarté. Mais n’avaient-ils pas de doutes, aucun espace pour le
doute, pour la nuance?
J’ai dû apprendre à penser, à
imaginer ce monde en mouvement avec ses pas de danse insensés. J’ai dû
apprendre à m’exprimer, à préciser. Cette incapacité du début me rendait fou,
mon orgueil en prenait un coup et je m’en sortais tant bien que mal en
louvoyant ou en faisant le pitre et feignant de ne rien prendre au sérieux.
Mais plus je m’enfonçais dans cette attitude plus je me renfrognais. C’était
sans issues.
Vivre ne va pas de soi, car,
au départ, n’avons-nous pas à digérer notre apparition sur terre, à reconnaître
et accepter pleinement notre existence? Mais nous sommes condamnés à essayer, à
nous aventurer, à jouer. J’ai donc délaissé les mots pour apprendre à jouer,
pour apprendre à essayer et me gaver d’expériences. Puis j’ai enfin compris
qu’il n’y avait rien de solide, de définitif et que je ne devais pas me leurrer
moi-même par les pseudo certitudes que j’attribuais à la vie.
Tout bouge, tout change et
n’importe quoi est en relation avec n’importe quoi, en interdépendance. Ceci
explique donc cela : je comprends pourquoi j’avais tant de difficultés à
m’exprimer. Je voyais un film devant moi, non pas un album photo. Je voyais la
fluidité, le mouvement, la naissance et la mort, l’arrivée et le départ. Et ma
raison et mes mots voguaient sans trêve et sans entraves dans les grands
espaces du réel.
Maintenant, je fouille dans
le sable et rapporte l’infime à dos de chameau.
« La grande aventure, c’est
de voir surgir quelque chose d’inconnu, chaque jour, dans le même visage. C’est
plus grand que tous les voyages autour du monde », m’invite Giacometti, le
grand sculpteur et peintre suisse. Je fouille dans le sable qui
coule entre mes doigts pour ne retenir que quelques grains d’une sagesse
toujours à reconstruire et à revoir, une sagesse transformée par ce présent qui
illumine le visage des hommes.
Je suis toujours aussi
hésitant dans mes paroles, toujours aussi malhabile et je ne comprends pas
cette assurance toute souveraine dans les discours que j’entends et lis à
gauche et à droite. Nous voulons tellement du solide, du certain et de la
sécurité que nous avons fini par oublier cette grande aventure dans l’inconnu
qui oblige à nous tenir constamment sur la pointe des pieds.
Je sais seulement que me détacher (voilà le plus difficile) m’amène de surprise en surprise.
Je sais seulement que me détacher (voilà le plus difficile) m’amène de surprise en surprise.
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