8 avril 2014

Ballerine verte

Elle faisait bien petite à regarder, il y a à peine un an, ma « cai dou shu ». Depuis lors, elle est devenue arbuste et je l’appelle dorénavant ma ballerine verte. Elle se dandine et tourbillonne dans son pot, laisse échapper quelques pas de danse et entrechats dans mon salon, gorgée de soleil toute la matinée, gorgée de lumière qui entoure son visage de poupée de Chine.

Je vois sa tête minuscule entourée de deux bras qui pointent le ciel. Elle caresse le projet de s’envoler vers un grand ailleurs et de m’y entraîner avec elle. Son millier de feuilles m’entourerait pour me protéger et me garantirait un voyage hors du commun où arbres et fleurs seraient rois et reines de troupes multicolores en marche dans des printemps éternels
Je l’observe du coin de l’œil lorsque je médite à ses côtés. Elle me magnétise. Elle est la flamme émeraude qui jaillit hors de son foyer de terre, elle ralentit le temps. Elle lance des mots feutrés qui se détachent en grappe du bout de ses branches pour fermer ensuite la boucle au creux de mes carnets de notes, refuges des pensées secrètes qui m’attristent et m’assombrissent. Je songe à sa sérénité lorsque la douleur m’incommode. Elle me guide, devient mon maître, le sait-elle? Dans le tourbillon des expériences multiples autour de soi et en soi, n’est-il pas avantageux de se voir entouré par ces êtres qui t’apportent courage, force et amour? Une simple présence rassurante et silencieuse ne vaut-elle pas davantage que tous les soins recherchés parmi des milliers de mots apaisants qui jalonnent notre existence mais sans nous toucher?

Ma ballerine verte, mon émeraude dansante tu me dis tellement à travers ton silence que ce serait faute énorme que d’ignorer l’étonnant mystère de ta beauté.

21 mars 2014

Jouer la vie avec bonheur

Souvenons-nous, enfants, entre frères, sœurs et amis, comme chaque moment comportait sa part de magie et où la joie dans le jeu se trouvait au cœur de toutes nos activités. Le temps disparaissait, une atmosphère unique nous entourait de ses bras généreux et l’enchantement faisait le reste du travail. « Les enfants s’émerveillent naturellement devant l’existence et pour eux le monde est d’emblée enchanté. Et c’est peut-être parce qu’enchanté qu’il regorge de sens, qu’il a du goût, du charme, de la saveur », nous dit Mathieu Scraire. Enfance, réenchantement du monde et sens de la vie. Liber

Le monde est un miracle, nous répètent les philosophes, car il aurait pu ne pas être…

Pour l’enfant, l’existence est un prodige en soi. Une simple porte ouverte recèle assez de mystère pour combler sa journée entière. Un bébé voit un objet, un jouet par terre et l’excitation le gagne au point de le bouleverser. Cacher ce même jouet, un autre à côté fera aussi bien l’affaire et son existence se transformera à la vitesse de la lumière. Enthousiasme et spontanéité sont les moteurs de l’enfance, les deux mamelles qui le nourrissent et l’entrainent vers l’inconnu en toute confiance.

En vieillissant, l’attitude change. Le désenchantement finit par nous gagner. Nous nous disons plus lucides, plus terre à terre et voyons souvent le mal ou le malheur comme la véritable réalité, l’unique réalité. Les réseaux sociaux regorgent de ce type de personnage qui tient à en découdre avec tout ce qui bouge et qui manifeste son arrogance avec les arguments du pire, seule vainqueur au firmament des idées. Le cynisme fait son travail de sape. Mais c’est trop facile le cynisme, il suffit de s’abandonner bêtement à ses pulsions négatives. Son envers le sentimentalisme ne vaut guère mieux, il ne faut pas se le cacher. L’un et l’autre sont porteurs de lunettes colorées qui ne restituent en rien la véritable réalité, ils déforment la vie.

Je plaide pour un retour à l’enfance et à son regard poétique des choses, un regard de l’instantanéité de la vie. Chaque moment, chaque lieu cachent son mystère, sa joie et sa beauté. Je manifeste pour une innocence assumée, une naïveté enfantine pleine de courage et de confiance envers l’autre et l’univers entier malgré les aléas de la vie. Comme nous dit Mathieu Scraire, déjà cité : « L’attitude raisonnable, voire réellement lucide pourquoi pas! ne serait-elle pas, en dernière analyse, de parier sur le beau, sur le bon en espérant — en sachant – que nous ne pouvons être constamment déçu. »  

Combien de fois nos plans, à ma conjointe et moi, ont-ils été chambardés par des imprévus, des occasions manquées, retard et autres déboires. Déceptions et apitoiement sur soi auraient pu nous aigrir et nous rendre de plus en plus maussades. Mais chaque fois d’autres avenues nous attendaient au détour et nous reprenions vite goût à l’aventure de l’inattendu. Bien souvent nous y gagnions au change. Confiance dans les circonstances, l’art de se revirer sur un dix cents? Derrière les déceptions se cachent, semble-t-il, des opportunités qui rendent comptent de toute la richesse de l’abandon aux contingences de la vie.

Comment nommer cette attitude, « cette capacité joyeuse et enthousiaste de regarder le monde avec des yeux d’enfants »? Je l’appelle l’art de jouer la vie avec bonheur ou, à l’instar de Jean-François Vézina, l’art de danser avec le chaos.

C’est un jeu qui se joue avec tout le sérieux du monde…

13 mars 2014

Chercheur de perles

Je me tiens en bordure d’un savoir à renouveler, en constant équilibre devant l’inconnu. Un matin je peux me réveiller et, tout au fond de ma conscience, avoir l’intuition d’une connaissance qui m’empoigne solidement. Qu’est-ce que c’est? Je ne le sais pas, il y a quelque chose… Je sens l’arrivé d’une image, d’une enfilade de mots cohérents qui tracent le chapelet d’une compréhension qui virevolte à l’intérieur de mes pensées. Je suis en attente. Je sens qu’une compréhension se forge. Il se peut qu’elle redevienne liquide en fusion, une lointaine impression. Le temps n’est pas encore propice, je ne me fais pas assez accueillant, il manque d’espace au sein de ma conscience. Le travail consiste donc à m’ouvrir davantage à l’inconnu qui frappe à la porte.

Je redeviens chercheur de perles.

Je m’ouvre et je cherche, car je sais pour l’avoir mainte fois expérimenté que la vérité se présent nue, sans enrobage, de la façon la plus humble, parfois si discrètement qu’un simple manque d’attention suffit à la perdre de vue.

La vérité ne se laisse pas charmer, il faut la mériter. Une ferme intention doit d’abord nous soutenir puis il faut nous approcher discrètement, nous sommes à la chasse, nous traquons, le gibier se sauve. Le silence et l’attention deviennent alors nos alliés les plus puissants.

La vérité, il faut la craindre. Elle possède le pouvoir de nous transformer. Nous aimons les distractions, nous chérissons les opinions et affirmations qui nous plaisent et nous réconfortent. Mais qui accepte de se transformer, de se changer en profondeur ou encore de se réinventer? Et qui accepte de le faire dans la continuité? Jusqu’à la fin…

L’intention, la traque silencieuse et la crainte devant ce grand inconnu qui n’attend que ces gestes de soumission de notre part.

Il n’en faut guère davantage hormis l’humble acceptation de la surprise toujours possible qui nous guette au bout du chemin, à la dérobée, lorsque l’authenticité nous guide. Une prise au menu, peut-être au moment où l’on s’y attend le moins ou en douceur et même dans le tumulte, à petite dose ou à grande croquée mais jamais façonné à notre image car c’est cette image même de soi-même qui demande à être transformée.

S’éveiller en se transformant, voilà le défi. Le reste n’est que divertissement pour intellectuel à la recherche de notoriété ou encore distraction raffinée surfant sur la mode d’un psychologisme ou d’un ésotérisme populaire et passe-partout.

Se transformer, enfin, sous la bannière de l’émerveillement d’exister, en relation étroite avec le vivant. « Savoir qu’on est vivant est tout savoir », nous dit Christian Bobin. Ne serait-ce pas là où se cache la vérité en définitive : dans la conscience que nous sommes bien vivants et que toute recherche sérieuse en découle?

19 février 2014

Se taire et dire l’indicible

Je parle trop. Souvent je parle trop même si je dis peu la plupart du temps. J’ai pour exemple ces moments où surgit le désir de m’exprimer sur moi-même, de livrer une impression qui me touche profondément. Je ne suis pas habitué. Tout à coup un flot de paroles trop longtemps endigué se déverse par excès d’enthousiasme devant une écoute attentive, et je sens que l’autre est enseveli et essaie de surnager tant bien que mal au-dessus de cette avalanche de mots. Outre ces moments trop rares, je me tais, j’écoute, essaie de comprendre et me mettre à la place de cet autre qui me parle, me semble-t-il, avec tellement de facilité. S’il me parle, me dis-je, c’est que son message est important sinon bouche cousue. Je me trompe, 99 % du temps. Ce n’est que ramassis de clichés, de propos décousus, d’énoncés lancés en l’air et sans consistance. Je perds mon temps, je ne devrais pas écouter. Je continue tout de même en estimant qu’une perle ne saurait tarder un jour ou l’autre à surgir de la gangue d’où elle est issue.

Avant chaque conversation nous devrions nous rappeler : désolé nous savons que nous n’avons rien d’important à nous dire mais parlons tout de même il en sortira probablement quelque chose. Je suggère aussi ceci : ne parlons qu’en connaissance de cause. J’imagine un grand silence troublant…

Je ne comprends pas ce flot de paroles autour de moi. Pourquoi ont-ils tant à dire ceux et celles qui pourtant ont si peu à dire? Pourquoi ne pas nous dire que l’essentiel? Mais qu’est-ce que l’essentiel? Sommes-nous condamnés à n’entendre que banalités ou inepties? Savons-nous seulement parler? Connaissons-nous cet art perdu de la conversation? N’avons-nous pas simplement baissé les bras devant la difficulté à communiquer ensemble? Nous avons un besoin viscéral de communiquer mais pourquoi nous contenter de si peu? Pourquoi cette triste comédie sous forme de paroles inutiles? Manquons-nous de mots pour dire l’essentiel? « L’indicible! Il était mystérieusement lié, je le comprenais maintenant, à l’essentiel. L’essentiel était indicible. Incommunicable. Et tout ce qui, dans ce monde, me torturait par sa beauté muette, tout ce qui se passait de la parole me paraissait essentiel. L’indicible était l’essentiel. »  Devrais-je me solidariser avec ces mots magnifiques d’Andreï Makine tiré de son livre Le testament français?

Apprendre à dire l’indicible. Mais avant de se lancer dans cette entreprise insensée n’y a-t-il pas lieu de nous ouvrir d’abord à la capacité d’écoute trop souvent négligée? Apprendre à écouter puis à parler. Peut-être avons-nous trop longtemps été brimés dans notre désir légitime de parole et que nous nous reprenons en sachant que nous y avons droit? Un droit inaliénable. Mais quelle est la valeur d’un droit lorsqu’il nous permet de brandir tout haut qu’ignorance, incapacité de tenir des propos articulés et manque de culture? Nous discourons avec véhémence mais savons-nous soutenir notre dire, savons-nous débattre? Nous voulons nous faire entendre, émettre opinions et franches affirmations mais possédons-nous tous les outils nécessaires pour y parvenir? Connaissons-nous la nuance et sommes-nous prêts à admettre que nous pouvons facilement nous tromper par manque d’informations et de connaissances?

Je parle de l’humilité de nous taire et d’écouter. Je parle de la nécessité du silence pour mieux dire et de l’imperméabilité face aux rumeurs et opinions tranchées qui nous entourent.

Je parle d’une forme de spiritualité qui passe par un détachement dans notre dire. Le silence accepté, la solitude et le silence. Pouvons-nous nous en accommoder? Je crois que nous sommes plutôt entrés dans une culture du bavardage où la quantité de mots exprimés est devenue synonyme d’une recherche de reconnaissance à tout prix. Plus vous en dites, mieux vous vous en tirez. Nous souffrons d’un mal négligé et pourtant néfaste : le verbalisme. Nous nous méprenons sur la quantité et la sonorité des mots employés : ils donnent l’illusion de la pensée, de la profondeur de la pensée.

Est-ce à dire que l’essentiel sera toujours incommunicable, hors de la portée des mots? Je ne le crois pas. Il n’y a rien d’indicible si c’est du cœur et du tremblement de notre univers que surgissent cet essentiel qui n’a aucune mesure sinon celle de l’authenticité de notre être intérieur.

Il faut nourrir en abondance cet intérieur pour qu’il rejaillisse comme un soupir à jamais consommé.

30 janvier 2014

L’homme qui s’oubliait

Un matin comme bien d’autres matins… Le journal au coin de la table, toast, café, la radio en sourdine qui débite les mêmes âneries depuis près d’un siècle. Rien que du familier. Je regarde le temps qu’il fait à travers la fenêtre, le chat se lèche les pattes après son petit déjeuner, l’ordinateur roucoule dans la pièce à côté. Le locataire du haut se prépare à partir, bruit de pas sur le plancher de bois franc, une porte claque.

Du familier, rien que du familier...

Mais pourquoi alors, subitement, cette impression d’un bogue dans la machine, cette impression de manque et d’absence qui s’introduit insidieusement dans ma conscience. Je lève les yeux de la page 12 du journal devant laquelle je m’éternise. Je tâte l’atmosphère, scrute minutieusement chaque recoin de la cuisine à la recherche d’un improbable indice.

Une partie de moi a décidé de se séparer, de me quitter, sans me demander la permission. Je hausse les épaules, émets un bref sourire en guise de dérision puis me lève. Un coup de vent me fait sursauter, la pluie commence à tomber. Changement au programme, je devais aller jogger. Je regarde mes mains. À l’extrémité de mes doigts, la peau ressemble à de la pâte phyllo. Je vieillis, c’est normal, ma peau flétrie. Au moins je reconnais mes mains. Le miroir. Je plonge un regard furtif. Moi. Pareil au moi d’hier, de la semaine dernière.

Mais qui es-tu? Quel est ton nom?

Aucune idée, je ne m’en souviens plus. Ton âge, ta date de naissance? Rien, nothing, nichts, nada. Pas plus avancé. Je sais pourtant que j’ai la même conjointe depuis des lunes, je suis le père de trois enfants et grand-père de quatre. Je connais leur nom parfaitement bien. Ça va pour ma journée d’hier. Qu’est-ce que j’ai mangé? Des pâtes au pesto, yogourt, brownies, succulent. J’ai lu Dostoïevski, les Frères Karamazov, un chef-d’œuvre, suis rendu à la page 700 environ. J’ai parlé avec ma vieille mère au téléphone, crié un peu car elle est sourde. Son nom? Rose. Rose Deschamps, je vous jure. Toute ma journée d’hier me revient en tête. Des événements de la semaine dernière aussi. Ce qui m’attend dans les prochains jours. Tout est clair, précis.

J’aimerais dire que je me calme mais je ne peux pas car je n’ai jamais été aussi calme. C’est bien ce que je ne comprends pas. J’ai l’étrange impression d’un fardeau de moins sur les épaules. Ontologiquement, je suis le même, je reconnais mon essence, tout baigne. Mais plus de noms, plus de date. Donc suis-je né? J’ai perdu une part de moi-même et je me sens plus léger, comme débarrassé d’un superflu, d’une propriété inutile, non obligatoire. Pour tout dire, je me sens libre comme jamais auparavant, une liberté exempte de toute peur.

Je n’ai plus rien à perdre, je ne suis plus rien, ou presque…

Lendemain matin. Autre jour, autre réalité. J’ai encore oublié mon nom même si mes cartes m’ont été d’un certain secours hier. Mes cartes, j’ai presque envie de m’en débarrasser. J’ai oublié mon N.A.S. tiens. Peu importe. Ce matin j’oublie tous mes numéros. Me sens encore plus léger. Un oiseau, quelques plumes, j’ai envie de voler. Je reçois un coup de téléphone me rappelant un abonnement qui vient à échéance. Quel abonnement? Je n’en veux plus. Mon numéro de téléphone disparu lui aussi. Mon poids, ma taille, aucune idée.

Je n’ai plus de dimension, mon être concret se désagrège lentement de ses statistiques. Tous ces chiffres s’estompent, les fils sont coupés et la toile des éléments superficiels s’effiloche sous le poids de la gravité.

Une semaine plus tard, il y a un autre vide qui se dessine devant moi, il m’invite à une absorption. Je ne réponds pas. Je suis bien, confortable. Je souris à ma femme qui ne se doute de rien. Je ne lui raconte pas mon état car tout m’indiffère maintenant. Lorsqu’elle prononce mon nom, je sais que c’est de moi dont elle parle. J’ai toute ma tête quand même…

Mon vide se reconstitue en bienveillance et en amour pour tout ce qui m’entoure. Et croyez-moi c’est tout ce qui compte pour cet entourage. Les gens, les animaux le sentent. J’en fais l’expérience tous les jours.

Je suis celui qui s’oublie et dont rien n’oblige. Mon existence s’est raccrochée à son essence. Je ne suis plus rien et je suis tout. Je ne pense plus et je suis bien plus. Je transpire la réalité de mon être et je n’ai plus de pourquoi. « C’est quand je ne me sais plus être moi-même que je suis au plus près de moi-même », disait Plotin

Je suis maintenant une apparition qui s’affranchit de toute définition.

L’absorption dans l’oubli de soi continue de plus belle. Je vaque à mes occupations et prends le pouls du monde qui m’entoure comme si lui-même n’avait plus de densité, seulement une présence qui ne dépend que de ma seule attention. Le monde est mon monde, une réalité dont je suis responsable car elle est issue de moi seul. Nous ne faisons qu’un.

Tous les jours je marche et m’émerveille devant la beauté naturelle des choses. Elles sont, je suis.

Je suis l’homme qui s’oubliait et qui a tout perdu.

17 janvier 2014

Comment savoir qui sait? Qui sait?

Ne préférons-nous pas rester égaux dans l’ignorance? Une ignorance ostentatoire, selon le qualificatif à la mode. Nous sommes des êtres aux émotions brisées, battues par de grands vents qui les secouent constamment, jusqu’à nous faire perdre pied. Ces vents à l’odeur fétide sont les rumeurs, canulars et préjugés qui gagnent chaque interstice laissé ouvert par mégarde. Comment s’en tirer, comment les combattre?

Un événement, une situation ne se transforme pas en expérience significative s’il n’a pas été compris et entièrement assimilé par celui qui l’a vécu. Et l’expérience peut très bien être la reconnaissance d’un échec.

Toute expérience n’a pas à être dite ou racontée, tant et aussi longtemps qu’elle n’a pas acquis un pouvoir de signification.

Nous vivons à l’ère du « je veux être vu et entendu » qui nous donne ce sentiment d’exister. Nous devenons notre propre objet, notre propre produit qui s’auto dévore à force de se mettre en scène. Le contenu de la représentation n’a pas d’importance, il n’y a plus rien à comprendre ni à maîtriser sinon les codes de l’exhibition de soi.

Je me souviens d’une partie d’échecs dont j’étais très fier car j’avais gagné, comme de raison. Un maître passe par là, je lui montre la partie et me dit que ça ne vaut pas grand-chose, c’est une belle tentative mais bourré d’erreurs que je n’avais même pas vues. On ne sait pas tant que l’on ne reconnaît pas n’avoir rien vu et tant et aussi longtemps que l’on croit avoir touché le vrai et l’indicible. Cette fierté de soi nous aveugle.

Il est bien toutefois de vouloir raconter et s’exprimer. Mais qui peut nous guider dans ce dédale. La créativité se prête à plein d’embûches.

Un autre personnage pervers s’est dorénavant présenté à la porte du monde communiquant. Celui qui prétend savoir et qui fustige tout ce qui bouge, en son nom et au nom de tous les bien-pensants, celui qui joue au senseur ou douanier autoproclamé, qui se donne un rôle en se vautrant caché dans les réseaux dits sociaux, celui qui dénigre, démoli avec un malin plaisir sans argument digne de ce nom et qui prétend qu’on ne la lui fera pas, qui voit des évidences partout car percevant la réalité sous deux teintes seulement, le blanc et le noir. Une personne exprime une opinion et le voilà qu’il apparaît, à l’assaut, toujours prêt à tirer.

Comment se tirer d’affaire? Ne plus échanger? Se retirer dans ses terres et n’échanger qu’avec ceux et celles qui nous ressemblent?

Je remarque une chose. Tous les écrivains aux ouvrages importants que j’ai lus ces dernières années n'ont pas seulement apporté une contribution au savoir mais ont réfléchi sur l’acte même de réfléchir, sur l’art de se faire une pensée. Tous ont en commun certains traits. Les voici :

« Non seulement l’homme adore répéter, mais si on lui dit qu’il répète une autorité, il est sûr d’avoir raison. » Ch. Dantzig, La guerre du cliché

« Nous sommes trahis par ce qui est faux au-dedans. » G. Meredith cité par Alberrto Manguel dans journal d’un lecteur.

« Nous avons l’habitude que les gens se moquent de ce qu’ils ne comprennent pas. » Goethe cité par A. Manguel dans journal d’un lecteur.

« J’ai toujours eu un problème avec l’autorité. Encore maintenant, rien ne m’indigne comme ce qu’on appelle les arguments d’autorité, qui consiste comme on sait à invoquer une autorité supposée pour faire taire toutes les questions. Ils s’opposent au raisonnement, au merveilleux raisonnement, merveilleux parce qu’il est fondé sur la confiance. Les arguments d’autorité sont fondés sur le mépris. » Charles Dantzig, Pourquoi lire.

« Notre besoin de superstition est impossible à rassasier. » Charles Dantzig, Pourquoi lire.

« Il y a toujours un trou dans le raisonnement le plus impeccable. C’est le moment où, s’approchant de l’explication fondamentale, celle-ci s’enfuit comme une bille au fond de l’espace. Et c’est cette connaissance toujours plus fuyante que l’on peut appeler mystère. Il est sans doute nécessaire qu’elle fuie : ce faisant, elle nous attire. Et l’homme, en plein désert de la compréhension, continue à avancer, ahanant, vers cette aguicheuse. Charles Dantzig, Pourquoi lire.

“(…) j’ai acquis une croyance en quelque sorte mystique en ce que l’esprit nous échappe et s’impose à nous de façon mystérieuse, mystère qu’il ne faut pas chercher à élucider. Les mystères sont faits pour être approfondis.” Charles Dantzig, Pourquoi lire.

“Toutefois, l’éventail des connaissances (Asie, etc.) qui sont proposées au chercheur ne lui seront profitables que dans la mesure où, dégagé des divers autoritarismes, il devient capable de se prendre en main et de s’assumer lui-même. (…) l’homme médiocre aime l’autorité, c’est pour lui une facilité.” Marie-Madeleine Davy, Les chemins de la profondeur, Question de, Albin Michel.

“Il y a deux façons de se tromper : l’une est de croire ce qui n’est pas, l’autre de refuser de croire ce qui est.” Kierkegaard, cité par Eben Alexander, La preuve du paradis.

“L’homme aime mieux se créer des évidences que des réflexions, semble-t-il. Son besoin de foi est insatiable.” Ch. Dantzig, À propos de chefs-d’œuvre.

“Tu as changé d’idée, de sentiment, d’attitude; ne tiens pas cela pour une trahison. Au contraire, tu es fidèle à ta quête de vérité, le vrai risque étant de penser l’avoir trouvée. La pensée est un chantier, pas un tombeau. La pensée immobile n’est que momie. Celui qui ne change pas d’idée refuse peut-être d’affronter le risque.” Jean Paré, Le carnet d’Érasme.

“La ‘pensée unique’, ce serait le contraire de la pensée. Le discours est hégémonique et inentamable quand tout le monde dit la même chose sans y penser.” Jean Paré, Le carnet d’Érasme.

“Les gens qui ont des certitudes sont sûrs de se coucher le soir aussi cons qu’ils se sont levés le matin.” Lucien Jerphagnon, De l’amour, de la mort, de Dieu et autres bagatelles.

“Le diable, c’est la foi sans sourire, la vérité qui n’est jamais effleuré par le doute” Lucien Jerphagnon, De l’amour, de la mort, de Dieu et autres bagatelles. Citant U. Eco dans le Nom de la Rose.

“Pourquoi tant de gens se dérobent-t-ils si souvent à l’initiative qui est la nôtre, qui est celle de chacun : être soi, penser par soi-même? Comme si, au fond, on avait peur d’être soi; comme si on se sentait rassuré d’être un atome de la masse sous ses différentes formes.” Lucien Jerphagnon, De l’amour, de la mort, de Dieu et autres bagatelles.

“Quand on est jeune, on voit autour de soi des hommes qui font semblant de savoir. Alors on se met à faire semblant de savoir.” Lucien Jerphagnon, De l’amour, de la mort, de Dieu et autres bagatelles. Citant Tolstoï.

“Dans le regard, dans le sourire, le joyeux défi de ceux pour qui tout est définitivement éclairci dans ce monde comme dans l’autre, et qui se sentent avec sérénité les seuls détenteurs du Vrai.” Lucien Jerphagnon, De l’amour, de la mort, de Dieu et autres bagatelles. Citant Martin du Gard

“Personne ne peut échapper à la nécessité de respirer ‘l’air du temps’. Un air tout autant pollué par celui de nos rues, notamment par les idéologies et les fantasmes en tout genre, et moins gravement par les modes. L’air du temps s’engouffre évidemment dans les esprits proportionnellement au vide qu’il y trouve, la culture constituant le seul filtre efficace. (…) C’est alors tout naturellement qu’ayant perdu son autonomie, le sujet va se mettre à penser comme il faut. Point n’a été besoin pour en arriver là de quelque censure d’État, comme sous les régimes totalitaires. Le savoir-faire, la puissance de convaincre de politiciens, de dévots, de gourous, ces censeurs autoproclamés fondant sur leur propre idéologie ou sur leur fanatisme cette juridiction usurpée, y ont amplement suffi." Lucien Jerphagnon, De l’amour, de la mort, de Dieu et autres bagatelles.

"La réalité, l’endroit où nous nous trouvons, nous est invisible dès lors que nous nous y trouvons. C’est le processus du ‘second degré’ (imagerie, allusion, intrigue) qui nous permet de voir où et qui nous sommes. La métaphore, au sens le plus large, constitue notre moyen de saisir (et parfois presque de comprendre) le monde et les êtres, si déconcertants soient-ils. Il est possible que toute notre littérature puisse être comprise comme métaphore" Alberto Manguel, Nouvel éloge de la folie.

 "On ne possède pas la vérité et j’ai besoin de la vérité des autres." Jean-Claude Guillebaud, La force de conviction.

16 janvier 2014

Défier la mort?

Le temps n’arrête pas sa course effrénée. Chaque jour, chaque instant, nous rapproche davantage de la mort. Le temps n’arrête pas et une énergie inépuisable nous transporte inéluctablement jusqu’au moment forcé de la conclusion finale. Cette énergie, l’avons-nous oubliée, c’est la vie…

De notre naissance jusqu’au décès nous baignons dans la même eau. « Dès qu’un homme est né, il est assez vieux pour mourir », nous rappelle Heidegger. Vie et mort, tel un vieux couple inséparable, se démènent ensemble et sont si intimement lié qu’il serait peut-être envisageable d’en forger pour les deux qu’un seul et unique mot.

Cependant il y a un hic. Et il est d’autant plus fort de nos jours alors que notre attention semble rivée à tout ce qui a trait à la jeunesse et à son énergie inépuisable. La mort est une certitude inadmissible et met notre conscience au défi de seulement l’envisager. Cette toute puissance nous écrase et nous n’avons cure d’en partager l’équation. François Cheng dans son livre Cinq méditations sur la mort nous précise pourtant : « La mort semble régner en maîtresse du monde, mais son pouvoir n’a pu lui être conféré en amont que par cet absolu qu’est la vie, qui, pour être vie, exige la mort corporelle. » Cheng nous apprend aussi qu’il existe une brève phrase tirée du Yi Jing et que se transmettent les Chinois de génération en génération : Sheng-Sheng-bu-xi et qui signifie : « La vie engendre la vie, il n’y aura pas de fin. »

Est-ce que la mort est la fin de tout?

Notre conscience permet de tout embrasser. À un point tel que je la crois intimement lié à l’éternité. C’est le don inestimable que l’univers a fait à l’homme en même temps que son ultime détresse, car l’homme ne se voit-il pas en demeure de penser sa mort et de la sentir venir petit à petit en supportant les affres de la vieillesse? Cette dernière nous éloigne de notre animalité et sert d’approche à une conscience approfondie de notre mort. Mais en est-il toujours ainsi?

Combien de fois ai-je entendu dire qu’après notre mort c’est la fin de tout, le néant, le vide total, jamais plus de pensées, de conscience? L’athée ou le plus notoire des matérialistes carbure à cette croyance que tout s’éteint au dernier souffle et cette tendance ne semble pas s’effriter avec le temps. Pour définitive qu’elle soit dans l’esprit d’un tel individu, je ne crois pas qu’elle parte d’un fond réel de sincérité. J’y vois plutôt une bravade ou une provocation sinon un manque de réflexion. « Il n’y a plus rien, rien du tout et je ne veux plus en entendre parler. » J’ai l’impression d’un manque bien réel de respect envers cette conscience de la vie qui nous définit en tant qu’être unique.

Est-il d’ailleurs possible de seulement envisager un néant? Comment le faire? Nous devons ultimement en prendre conscience donc en le surmontant et en le percevant du point de vue de la vie qui continue.

Au grand dam de tous les férus de certitudes matérialistes, je nous crois condamnés à ne percevoir qu’une suite nécessaire à notre vie. Sinon quel gaspillage de temps, pour paraphraser l’astronome Carl Sagan qui lui voyait un grand gaspillage d’espace dans le fait de ne pouvoir envisager d’autres mondes habités dans notre univers infini.

J’aimerais le rencontrer sur son lit de mort, je me mettrais à genoux pour mieux l’entendre et m’approcher de son cœur, celui qui persiste dans cette conviction du néant après la mort. « Je ne parle pas de Dieu, je ne parle pas de faire la paix avec un être supérieur ou avec ton âme ou de te raconter des histoires. Dis-moi franchement, est-ce que tu te crois? Tolères-tu vraiment que le seul aboutissement à ta vie ne soit qu’une fin abrupte enrobée dans un néant le plus absolu? Espères-tu au moins te tromper? »

« Ne réponds pas. Ménage ton souffle, c’est avec ton dernier que tu pourras t’envoler. »   

12 décembre 2013

À propos de libellule et autres chefs-d’œuvre

Je me suis rapproché lentement de la terre, non pas par dépit ou obligation, mais par simple amour.

Je lis la terre pour la comprendre. Un jour j’ai eu la volonté d’intégrer l’inconnu et le nouveau dans ma façon de penser. Quoi de neuf sur la terre? Mais la terre elle-même! Elle tourne, elle se transforme, elle irradie dans son indicible beauté. Et elle porte en elle toute la signification profonde du mot diversité.

Diversité. Comme la vie, comme son incroyable nomenclature d’animaux, de plantes, d’organisme de toutes sortes. Je suis en fascination devant sa diversité. Est-ce à dire sa beauté?

Un été, au bord d’un lac, au pied de ma tente, j’ai vu. Il y avait des dizaines de libellules qui entonnaient de grands discours d’excursions effrénées. De tendres voiles se dressaient en apparition fantomatique à la surface de l’eau. Quelques huards s’exerçaient encore à plonger et hululer. Je me suis mis à croire qu’il n’y avait plus rien à dire, plus rien à penser.

Il suffisait de voir.

Pourquoi des libellules, des grenouilles souriantes? Mais pour notre propre bonheur! Pourquoi toutes ces fleurs enflammées? Mais pour notre plus grand bonheur!


Mettons un instant de côté ce regard poétique sur la vie. Qu’ont-ils aussi à nous dire tous ces chefs-d'œuvre? Mais que nous sommes faits de la même étoffe. La terre nous enseigne l’humilité. Elle enseigne que l’humanité se compose d’autant d’individus uniques, que cette incroyable diversité n’a pas de prix, que nous devons la chérir et la protéger. Diversité, beauté et unicité se regroupent dans l’homme.

Je répéterais mille fois avec des millions de gens cet événement unique en bordure du lac. La nature m’a montré et j’aime croire qu’elle enseignerait à tous la même idée. Elle dépasse sous les jupons d’une vie en pâmoison devant l’éclatement enjoué de sa progéniture. Cette idée, elle est douce, elle est claire : nous avons, qui que nous soyons, une place bien chaude qui nous tend les bras. Notre existence unique nous invite au partage pour notre plus grande édification à tous, pour notre plus grand bonheur.

Admirer la libellule, c’est admirer et respecter l’homme…

11 décembre 2013

P’tit guide doux

Je rêve d’un guide. Je rêve d’un guide écrit à l’aube au coin d’une table. Un guide pour les enfants meublé de mystère joyeux et qui se lit en mangeant des céréales.

Je pense à un guide qui nous conduit nulle part, qui nous cache l’essentiel et se déroule comme un vieux parchemin oublié au fond d’un coffre de cèdre. Je pense à un guide qui nous parle d’étoiles filantes et de péchés véniels que nous racontaient nos vieux en riant. Ces vieux survoleraient son écriture comme des oiseaux de liberté, se prononçant sur la vie qui passe et nous dépasse. Je les sentirais me serrer les épaules de leurs grandes mains puis me dire ne pas m’en faire si je ne comprends rien et si mon guide s’enfonce, inutile, dans des bordures de mers infinies.

Je pense à chanter des mots au rythme de guitares lancinantes puis les écrire sur une portée comme dans une partition de Bach, bourré de croches et de silences. Mon guide, un concentré d’airs inconnus qui se déploie dans un champ de boutons d’or et d’épervières orangées.

Je rêve d’un guide qui se lit en donnant la moulée aux animaux, en décapant de vieilles fenêtres et s’essuyant le front devant les ardeurs du soleil. Je rêve d’un guide bricoleur qui s’échine à la besogne du bien, un guide de la grimpée aux échelles, un guide du labeur silencieux rempli de poussières d’argent et de copeaux enchantés.

Mon guide je le vois disparaître sous les manteaux quand s’approche minuit, le temps du rêve. C’est un guide du repos de l’âme qui brode son destin. C’est un guide d’histoires insensées, de vieux contes sans queue ni tête, de légendes farfelues.

Mon guide, serait-ce un guide?

Il égrène ses notes de violoncelle sur fond d’hiver blanc. Il demandera de l’attention, l’oreille musicale, une vision de chat, un doigté de petites sœurs qui distribuent l’encens.

Je rêve d’un guide qui s’inhalera assis sur une grande couverte étalé sur la plage, qui s’inhalera comme des grains de sable pour les transformer en châteaux éphémères.

Un guide de châteaux éphémères.

Un petit guide doux.

28 novembre 2013

Vivre allumé

De quelle manière une lumière dans une pièce peut-elle être utile? On peut répondre ceci : cette lumière sert à éclairer la pièce. Est-ce le plus important? Non. La pièce elle-même n’a aucune valeur en soi. L’essentiel réside dans le fait que celui ou celle qui regarde dans la pièce puisse mieux voir.

Dans un documentaire sur Pondichéry et Auroville, voici ce que dit un participant interviewé : « Vous savez que le lotus s’épanouit dans la boue. Pour trouver le sacré du lotus ce n’est pas qu’il faut analyser la boue d’où il sort, mais voir le soleil qui tire le lotus à partir de la boue. » http://video.tv5.ca/focus-monde-inde-a-la-recherche-de-soi

On trouve ici une analogie avec les croyances. Est-ce les religions, les dogmes, les livres saints, les officiels qui gravitent autour de ces questions qui doivent prévaloir dans notre recherche de la vérité? Même réponse que plus haut : non. Ce sont comme les pièces éclairées par une lumière. Ils n’existent que pour des sujets, adeptes, croyants, qui absorbent la lumière et s’en servent pour illuminer leur chemin.

L’essentiel, le primordial demeure toujours le sujet et sa conscience éclairée ou non. L’éternité et l’infini résident dans le sujet, jamais dans l’objet de la croyance. En faire la différence permet de voyager avec une conscience qui illumine tous les chemins et les mondes parcourus.  

27 novembre 2013

Les mots qui se méritent

Il y a des mots qui se méritent, des mots qui ne doivent pas être pris à la légère. Comment peut-on prononcer des mots comme amour ou Dieu sans témoigner de la stupeur ou de la retenue? Comment simplement les dire sans ébranlement? Ils demeurent tellement chargés de sens et de profondeur que nous devrions les mentionner que dans la mesure du respect que nous leur accordons. Les livrer sans considération à l’attention de l’autre ne serait-il pas une faute de goût, sinon de finesse et de tact?

Cela dit, les mots ont leur limite et chacun en fait un emploi à leur discrétion. Ils servent à dire l’indicible et à cacher l’évidence ce qui ne va pas sans discernements et applications.

J’ai une méfiance instinctive envers certains mots. « C’est comme dire aux gens qu’on les aime. C’est inutile. Il vaut mieux ne rien dire et le faire. », nous mentionne avec sagesse Robert Lalonde. Christian Bobin se fait plus explicite : « Ce qui est vraiment dit, ce n’est jamais avec les mots que c’est dit. Et on l’entend quand même. Très bien. » Bref, il en va des mots comme des gens et notre manière d’être parle souvent à tue-tête et ne saurait mieux signifier ce que nous sommes vraiment.

Des mots connus comme Amour-Dieu-Bonheur nous touchent de près, se rapportent au sens commun et une connaissance partagée. Mais que représentent-ils avec précisions? Le demander ne provoque-t-il pas que lourd silence? Essayez-le autour de vous. Les employer avec abondance, mais sans précaution ne fait que les amoindrir et les déposséder de cette valeur si chère que nous cherchons à générer dans nos rapports avec l’autre.

Je lis et entends autour de moi des expressions qui commencent souvent par : « On sait bien, AU QUÉBEC, on est comme cela. » « Ça, c’est bien nous autres AU QUÉBEC… » « Dieu qu’AU QUÉBEC on agit toujours de la même manière, qu’on pense toujours pareil! » Etc., etc. Mais de qui et de quoi parle-t-on?

Qui est ce on, qu’est-ce que c’est que ce « au Québec »? Qui peut — invraisemblable miracle — se targuer d’avoir sondé le cœur et l’esprit de millions de Québécois et, dans un même inimaginable élan de générosité, nous livrer sans l’ombre d’un doute ce qui définit parfaitement une situation, un état d’être, une vérité sans lesquels nous ne saurions distinguer le bien du mal, le bon du mauvais, ce qui est à faire ou non?

Bobin encore : « Les mots sont comme les gens. Leur manière de venir à nous en dit long sur leurs intentions. »

Je me méfie de cette palette de mots et d’expressions convenus. Ils sont les sésames qui ouvrent les portes de la bonne pensée et qui ne s’animent qu’en tant que clichés et banalités. Ils ne font qu’entretenir préjugés et généralités et se pervertissent en incompréhension, impertinence et irrespect.

Il y a des mots qui se méritent… 

25 novembre 2013

Jouer ou non?

Au petit parc, l’autre jour, je croise une dame qui me prend à témoin et commence à gesticuler et à critiquer de manière virulente les travaux qui s’effectuent justement à cet endroit. Il est situé près d’un musée et est un havre de paix et de jeux pour la population environnante. J’y vais moi-même régulièrement pour me reposer et l'affectionne beaucoup.

La dame m’oblige donc à remarquer le saccage dudit parc, même si tout sera reconstruit. Sous quelle forme? Je ne le sais pas. Peut-être le sait-elle? A-t-elle vu les plans? Son indignation me laisse perplexe, je crois l’entendre dire que jamais elle n’aurait laissé faire ce saccage, elle. On aurait dû consulter, d'autres auraient pu s’opposer férocement. Elle en fait un cas de conscience et me le laisse savoir avec colère sans que je puisse même lui poser une question ou deux.

Je suis resté perplexe de longues minutes puis je décampai avant d’être enseveli par un torrent de bave.

Modifier un paysage ne va pas de soi, créer du nouveau ne va pas de soi. S’il y a un artiste derrière ce projet, comment prendrait-il cette charge à l'emporte-pièce?

Ce n’est pas tout le monde qui peut être artiste et développer sa créativité. L’art de concevoir nécessite abnégation, détermination et talent. L’artiste prend toute la mesure du sacrifice de soi devant la difficulté inhérente au processus même de créativité. L’artiste n’invente pas tout à partir d’un vide ou d’un silence absolu, il réinvente certes, il s’appuie sur un matériel déjà florissant et remanie, appose des retouches ou reconstruit carrément.

Toujours est-il que la position d’artiste en est une de précarité, d’angoisse et de solitude.

Pour se tirer de cette position peu confortable, il arrive que d’aucuns se placent en position d’entrepreneurs à l’intérieur de la sphère publique. Ils contournent ce malaise de l’artiste pur et dur par une forme de créativité et d’inventivité qui se positionne d’abord sur la fenêtre de l’utilitaire et du pragmatisme. Sur cette bordure du réel, ils créent, proposent et vendent, la qualité du produit n’en demeurant pas moins primordiale.

Mais la critique du même produit se fait féroce surtout s’il prend naissance avec l’argent du public.

Est-ce le cas qui nous concerne ici?

Je ne peux répondre. Ce qui m’agace toutefois, c’est l’ampleur du débordement critique, le non qui jaillit constamment dans les mêmes circonstances et qui appose son sceau de désapprobation systématique comme si ce geste demeurait le plus naturel, le plus intelligent et le seul vrai. Est-ce que la raison serait morte au détriment de l’unique passion?

Je m’indigne, donc je suis! Je dis non, censure et m’objecte de toutes mes forces tout le temps, et c'est la norme.

N’y a-t-il pas pourtant des règles du jeu à respecter, des règles qui existent pour tous et que nous nous devons d’intégrer lorsque l’envie nous prend de jouer à celui qui propose et, en contrepartie, celui qui s’oppose et critique?

À défaut de créer, d’être cet artiste, n’y aurait-il pas lieu d’apprendre à jouer dans notre rapport constant avec l’autre et la réalité?

Qui dit jeu, dit règle du jeu. Aucun n’existe sérieusement sans son assortiment de règles précises et dont la moindre est celle-ci : il faut aussi apprendre à jouer fair-play. Devant l’évidence de ces règles pourrions-nous décider par nous même de refuser de jouer, de ne plus avancer nos pièces, de ne pas respecter le temps, le positionnement, le nombre de joueurs sur le terrain, de refaire le livre de règlement à notre avantage? Ce ne serait plus du jeu.

Afin de mesurer notre capacité à composer avec des problèmes, ne nous viendrait-il pas alors cette envie de maîtriser l’art de jouer. Et ce faisant naîtrait l’apprentissage tout aussi nécessaire de gagner ou de perdre, condition sine qua non du jeu.

Il faut jouer avec la réalité et non pas bêtement dire non devant un problème. Il ne s’évanouira pas par enchantement.

Ça, c’est la magie, et c’est pour les enfants.

13 novembre 2013

Le devoir de penser

Je ne me suis jamais défilé devant l’exigeant devoir de penser. Encore aujourd’hui, en maintes occasions, de longues méditations silencieuses remplissent mon temps. Je profite de ces moments pour améliorer ma compréhension de la vie, pour réfléchir en profondeur sur certains problèmes récurrents, bref pour prendre un recul salutaire devant le flot constant d’événements qui garnissent l'existence et qui exigent de les placer en perspective.

Je m’assure ensuite que tout ce que je pense, imagine, crée et juge, je m’assure que mes actions soient sous la constante gouverne du bien, du beau et d’un amour indéfectible pour toute vie. C’est le deuxième niveau de la pensée, celui permettant de se regarder en train de penser, de se "voir aller" afin d’établir une conformité entre réflexion et action.

Hannah Arendt pose le problème en ces termes : « Il s’agit d’établir si la pensée et les autres activités mentales silencieuses et invisibles sont censées paraître ou si, après tout, elles ne peuvent trouver dans le monde d’habitat qui leur convienne. » La vie de l’esprit.

Ce qui nous sauve c’est une profonde et constante méditation sur l’existence même de notre vie, c’est l’acceptation inconditionnelle de notre appartenance au monde, du fait indéniable d’exister et de se mouvoir dans ce monde. Cette acceptation contourne ce qu’Arendt nomme le « scandale de la raison » en citant Kant. Ce dernier avait bien vu l’évidence : « le fait que l’esprit est incapable de connaître avec certitude et de soumettre à la vérification certains sujets et certaines questions auxquels il ne peut cependant s’empêcher de penser. »

Comment s’en tirer? En cherchant sans arrêt une forme et en lui donnant la possibilité de se greffer entièrement à notre existence. Cette forme c’est aussi ce qui nous sauve, car elle constitue le chef-d'œuvre de notre vie à la louange du simple fait, de la simple évidence d’exister.

« Une rose est sans pourquoi », nous dit Angelus Silenius. En est-il de même de ce but ultime, de cette raison de vivre qui nous relie tous en ce monde?

Je suis porté à croire que le plus difficile dans ce travail colossal de réflexion et de méditation consiste à n’entretenir aucune attente, à accepter que nulle récompense et reconnaissance ne s’y attache. Le but ultime consiste justement à finaliser l’œuvre d’une vie qui nous appartient, en faire un joyau unique dans la création.

Je suis à tout le moins persuadé que nous ne pouvons faire l’économie de la pensée. Là se cache le mystère qu’il faut approfondir, aucune dispense ne nous est octroyée, il n’y a pas de raccourcis.

Qui maîtrise la pensée maîtrise l’être, respecte la mise en forme du joyau à venir, donne une impulsion à sa vie et comprend que tous sont sur ce même grand chemin de découvertes et de consolidations.

Seul celui qui maîtrise sa pensée applique une véritable éthique à sa vie. La conscience individuelle a primauté sur tout, aucune idéologie n’a préséance.

Le philosophe Alain résume magistralement ce qui précède : « Penser, c’est dire non! » La folie du monde, cette activité de la non-forme, de l’absence d’éthique, du nihilisme, recouvre de sa chape de plomb l’histoire de notre époque. Elle est la résultante de l’absence d’effort de la pensée qui ne se voit plus en action. D’où l’importance de la remettre constamment sur ses rails. Penser, c’est respecter la part unique de l’être humain, ce qui nous distingue de tout le reste. Penser, c’est respecter l’autre, notre semblable, le sachant lui-même un être dans toute sa possibilité de penser.  

Alain nous met en garde : « Il n’y a pas au monde d’autre combat. Ce qui fait que le monde me trompe par ses perspectives, ses brouillards, ses chocs détournés, c’est que je consens, c’est que je ne cherche pas autre chose. Et ce qui fait que le tyran est maître de moi, c’est que je respecte au lieu d’examiner. Même une doctrine vraie, elle tombe au faux par cette somnolence. C’est par croire que les hommes sont esclaves. Réfléchir, c’est nier ce que l’on croit. (…) Qui croit seulement ne sait même plus ce qu’il croit. » in Les pages les plus célèbres de la philosophie occidentale.

12 novembre 2013

Le silence attendu

Aurore au remblai de nacre
Dispersé à perdre le nord.
Coup de pinceau sur l’horizon agité;
Ne manque que le silence,
Que le silence
Attendu.




Se prendre

Si tu le veux
Un peu de moi
Prendrait une partie de toi
Et le ciel.




Je te le dis...

Tu ne me crois pas
Mais…
Je te le dis!

10 mai 2013

Qu’exiger de plus?

J’entends l’oiseau qui chante sous la ramure.
Il égrène quelques perles de lumière
Pour le passant qui s’en réjouit.
Qu’exiger de plus de la vie?

Un homme et une femme s’embrassent près de leur petit qui dort. Un individu écoute un proche attentivement. Ils sont assis tous les deux sur un banc dans un parc, ils cherchent à se comprendre, à s’aider peut-être. Des oiseaux se nourrissent des graines que leur apporte tous les jours un vieil amant de la nature.

Ne mésestimons-nous pas de tels gestes devant le dieu que nous honorons, les croyants trop humains donc imparfaits et indignes d’être vus?

Nous courons plutôt, il faut bien le constater, après l’action d’éclat, ce geste monumental qui sauvera le monde, cherchant ainsi, le croyons-nous, à nous garantir un regard d’approbation d’un dieu si loin de nous. N’attend-il pas, en effet, quelques prodiges qui lui ressemblent?

Mais s’il ne demandait après tout que l’innocence? Et s’il ne demandait qu’un cœur bienveillant malgré les affres de la vie? Et s’il ne demandait que d’être simplement heureux, ici maintenant? Et s’il était si près de nous que de seulement le chercher serait s’en éloigner?

Ainsi, peut-être que si nous écoutions, pourrions-nous l’entendre nous chuchoter à l’oreille : « Je ne veux pas que tu m’impressionnes, je ne veux même pas que tu chantes mes louanges en prétendant me connaître, en prétendant à l’intimité avec moi. Je ne veux surtout pas que tu agisses en mon nom, car que connais-tu vraiment de ma volonté? Il te suffit d’accorder la tienne à tous ceux qui gravitent autour de toi, sans les juger. Il te suffit d’aimer tendrement tes proches, les écoutant, les observant sans nuire à leur manière d’être. Ne serait-ce pas là le plus grand don que tu pourrais leur offrir? »

9 mai 2013

Tout ce que tu demandes


Tu demandes la lune.
J’ouvre un coffre-fort.
Un vent tiède surgit
Et des cheveux d’enfants
Gagnent un parterre immaculé.

23 avril 2013

Paresseux au travail

Comment résoudre un paradoxe lorsqu’il vous touche et vous accable?

Je suis paresseux. Je tourne en rond, regarde le temps qui passe et contemple le monde comme un scénario de film écrit à mon usage exclusif. J’ai une telle fascination, une telle curiosité pour ce qui se présente à mes yeux que je ne ressens plus le besoin de m’activer, entreprendre, bouger, faire; tous ces verbes d’action qui prennent tant de place dans la vie d’Occidentaux bien portants.

Il y a de la vitalité autour de moi, la nature exulte, il y a débordement d’énergie et d’inventivité, pourquoi devrais-je intervenir ou m’en mêler? J’essaie de me raisonner et je me pose toujours cette question : qu’apporterais-tu de plus à cette vie?

Je me contente alors de ne pas la juger et de l’aimer. Je me contente de ne pas nuire à tous ceux que je côtoie et qui s’affairent tant bien que mal à s’organiser une vie qui a un sens.

Je me dis tout de même que ce n’est pas suffisant. Une voix me susurre à l’oreille : « Voyons, ce n’est pas sérieux, il faut que tu t’affaires, tu dois bouger, t’impliquer, intervenir, t’indigner, il y a tant de choses qui vont mal autour de toi ». Alors je culpabilise, et je me sens paresseux…

Pourtant, je besogne très fort pour corriger ce problème. Donc, en soi, suis-je paresseux ou non?

C’est le paradoxe dont je parlais au début. Comment me considérer accro à la paresse alors que je travaille à la mater? Je déploie de l’énergie, je la combats en l’étudiant sur toutes ses coutures, je veux vaincre l’inertie, laisser une trace, je peux le jurer!

J’ai arrêté de m’en vouloir après avoir lu cette histoire :

« Le riche industriel venu du Nord était horrifié de voir le pêcheur du sud étendu paresseusement à côté de son bateau en fumant sa pipe.
- Pourquoi n'êtes-vous pas à la pêche? demanda l'industriel.
- Parce que j'ai attrapé assez de poissons pour la journée, répondit le pêcheur.
- Pourquoi n'en pêchez-vous pas plus que vous n'en avez besoin?" demanda encore l'industriel.
- Qu'est-ce que j'en ferais? demanda à son tour le pêcheur.
- Vous pourriez gagner plus d'argent, répondit l'autre. Avec cet argent, vous pourriez ajouter un moteur à votre bateau, puis vous pourriez aller en eaux plus profondes et pêcher plus de poissons. Ce qui vous permettrait d'acheter des filets de nylon. Et ces filets vous apporteraient plus de poissons et plus d'argent. Bientôt, vous auriez assez d'argent pour posséder deux bateaux… peut-être même une flotte de bateaux. Et alors, vous seriez un homme riche comme moi.
- Qu'est-ce que je ferais alors? demanda le pêcheur.
- Alors, vous pourriez vous asseoir et jouir de la vie " repartit l'industriel.
- Qu'est-ce que vous pensez que je fais actuellement? rétorqua le pêcheur. »

Anthony de Mello, Comme un chant d’oiseau.  

19 avril 2013

Croire


Croyances, visions des choses, idées sur le monde, la vie, la mort, la grande parade du sens que nous accordons à notre existence, foi en Dieu, foi en l’homme : une constance dans l’histoire qui a encore un bel avenir, surtout en période de troubles comme celle que nous vivons actuellement.

Nous devons croire. Nous devons croire, car nous avons une conscience aigüe de notre durée et de la mort qui nous attend. Le seul espoir qui nous reste se cache alors dans une continuité (de soi, de la vie) qui expliquerait et complèterait par le fait même notre mortelle présence sur terre.

Croire et avoir confiance en notre croire parce que nous nous sentons incomplets.

Jean-Louis Servan-Schreiber dans Aimer (quand même) le XXIe siècle nous dit ceci: « On ne peut pas fonctionner sans une petite modélisation du monde dans la tête; bricolée, lacunaire certes, mais c’est la nôtre. Nous avons intérêt à bien la connaître, à la tester constamment, à savoir la compléter, la mettre en doute, vérifier si elle nous aide à vivre, ou si elle nous envoie dans le mur. »

Voilà la question : est-ce que notre croyance nous aide à vivre? Et précisons : à vivre une vie qui a un sens, une vie réussie qui apporte quelque chose de positif aux autres et à soi-même?

Je sais à quel point nous aimons nous raconter des histoires. Quelque chose nous échappe et il y a plein de trucs que nous ne comprenons pas. C’est ce quelque chose d’indéfinissable dont nous ne savons presque rien que nous cherchons à clarifier afin de nous guider. Nous désirons ardemment la preuve de son existence afin de soulager notre angoisse. Une fois convaincus de l’avoir trouvé, nous la chérissons comme un bien précieux, un bien que nous voulons protéger à tout prix, car il nous conduira avec assurance vers le salut ou une récompense qui adoucira toutes nos souffrances vécues.

Cependant, ce spectre éblouissant de la preuve définitive ne finirait-il pas par nous aveugler au point de nous déposséder de nous-mêmes et nous faire perdre cette part d’humanité qui nous rattache à tous? Ne chercherions-nous pas aussi à nous démarquer par l’exclusivité de notre trouvaille, ce qui expliquerait la multiplicité des croyances, religions, sectes et autres idéologies qui pullulent depuis toujours?

Notre croyance, affirmons-nous avec éloquence et ferveur, étant la bonne et unique, une puissance, enfin, s’occupe de nous et nous mène à bon port. Nous sommes protégés, rassurés, et c’est tout ce qui compte.

Pendant quelque temps au travail, j’ai eu un ami qui était joueur d’échecs comme moi. On se voyait pour des parties endiablées, mais nous avions aussi de longues conversations ensemble. Un jour il m’avoua qu’il était un disciple de la foi baha’is. Il m’expliqua en long et en large la teneur de sa religion. Ce que je me souviens et qui me faisait sourciller, c’est que pour les baha’is l’unification de l’humanité demeure un sujet primordial. Ils sont d’ailleurs convaincus que le temps approche où la paix mondiale s’installera pour de bon. Je décelais un engouement et une exaltation chez lui et j’avais beau lui signifier qu’il me semblait utopique de voir les choses ainsi, rien n’y faisait. Le plus étonnant demeurait l’ensemble hétéroclite de preuves et de signes qu’il découvrait chaque jour dans l’actualité afin d’étayer ses affirmations. « Tu vois bien, ce n’est qu’une question de temps, me répétait-il. »

Je n’ai rien contre la paix sur terre, ça va de soi. Cependant, je ne voyais rien de probant, je ne croyais pas comme lui… Par contre, je discernais dans son approche une sorte de théorie du complot, mais à sens positif : on conspirait pour le bien de l’humanité entière et il en lisait des signes partout, dans tous les événements de l’époque.

Malgré tout, nous devons croire. Au moins pour ne pas désespérer, pour ne pas entretenir cette passion du désespoir que nous retrouvons parfois chez les jeunes, souvent pour des raisons dramatiques ou esthétiques. Croire humblement pour en arriver à espérer sans impatience et découvrir une part de sérénité malgré la folie du monde, malgré le mal, la souffrance.

Il n’y a pas de raccourcis. Comprendre la vie, le fait d’exister demande du temps et ne se manifeste que dans la lenteur et le silence, sans une pression indue de l’extérieur ou d’une puissance autoproclamée. Je pense à une recherche continue qui s’étale sur le long terme, comme une traversée à la nage de tous les océans de la terre.

Je pose comme hypothèse que les croyances existent avec une ambition inavouée, celle de court-circuiter le délai nécessaire à toutes transformations profondes de notre être. Ils prétendent à un lien direct avec la vérité, avec une puissance divine ou un substitut terrestre. Y adhérer donne alors un sentiment d’élection qu’il suffit d’entretenir en devenant dévot, c’est-à-dire celui qui prononce les bons mots, les bonnes paroles et se nourrit des bonnes écritures.

Nous devons croire, mais je ne suis pas sans savoir que mettre au-devant de soi sa croyance au détriment de la réalité, du visage du monde et de sa propre humanité peut conduire aux pires excès.

Il y a des maladies de la croyance qui enlèvent toute crédibilité à cette attitude capitale devant la vie. Ces maux naissent d’une paresse rédhibitoire devant la complexité de l’existence et en raison de notre impatience à trouver une solution définitive à notre incomplétude. Ces maux s’apparentent à une démission de la pensée et de la réflexion, comme si une dispense de recherche et d’approfondissement se voyait accordée aux seuls adeptes, dispense rendue possible par une mythologie ou une imagerie toute faite et parfaite de la vie ici-bas et au-delà. Si ce penchant se concrétise pendant de longues années, puis des décennies et des siècles, l’obscurantisme finit par prévaloir et recouvrir de sa chape de plomb toute lumière cherchant à poindre quelque part dans le firmament des idées.

Dans son livre Comme un chant d’oiseau, Anthony de Mello raconte cette histoire : « Le diable un jour partit en promenade avec un ami. Ils virent devant eux un homme se pencher et ramasser quelque chose sur la route.

- Qu’est-ce que cet homme a trouvé? demanda l’ami.

- Une parcelle de vérité, répondit le diable.

- Ça ne vous dérange pas? demanda encore l’ami.

- Oh non! repartit le diable : je vais lui permettre d’en faire une croyance…

Croire est noble. S’il ne se contente que d’une attente de récompenses ou d’un soulagement à notre malaise de vivre, notre croire perd alors de cette noblesse au détriment d’un égocentrisme inavoué ou d’une suffisance arrogante. Mais s’il est accompagné d’une transformation en profondeur de notre être, transformations issus d’expériences qui ont un sens, alors il reprend vie et ne se fossilise plus dans le dogmatisme et les certitudes défraîchies.

Le croire s’articule dans un constant dialogue avec le doute et l’incertitude, il est méthode de recherche, il s’élabore dans l’humble tâche de compréhension de la vie avec le seul instrument disponible à l’homme, sa raison.

Il y a cependant un paradoxe : la raison seule n’est et ne sera jamais satisfaisante. Devant le mystère de l’existence ainsi que de notre présence consciente sur terre, la raison n’a pas de repère tangible, c’est-à-dire de mesures quantifiables et précises. Elle doit reconnaître que la science et ses vues matérialistes ne produisent qu’une réduction du mystère, jamais une explication définitive, malgré leurs prétentions.  

Il reste le croire dans le doute et la raison dans l’humble acceptation de ses limites.
  

7 mars 2013

Nuits et jours


Nuits et jours
Vont et viennent,
Infatigables sans relâche.
Voyons-les s’embrasser
Des amants de toujours qui soupirent
Au moment de se délaisser.
Ils vont ils viennent
Se dévoilent l’un à l’autre
Se caressent un instant
Qui n’en finit plus
Leur ronde s’achève.

Oh mon enfant,
Mon enfant perdu fragile
Que l’innocence illumine
Regarde et vois le jour
Et vois la nuit
Ils ne trompent pas.
Regarde ces amants chasseurs
Qui tuent à coup d’éclairs
La noirceur des désirs
Qui tuent la blancheur la pureté.

Vont et viennent  
Ces jours ces nuits
Alternent le repos le vent
Ils n’en finissent plus. 

31 janvier 2013

Les mots(10)

Nuit :
La nuit éclaire notre vie comme des millions d’étoiles qui inspirent les plus sûrs des destins. Intime du silence, elle laisse entendre le pas feutré d’animaux mythiques, se fait le présage de rêves délicieux, inavoués, fantastiques, incompréhensibles. La nuit dessine une porte qui nous conduit fatalement à notre propre humanité.

Crayon :
N’eut été de sa présence, comment aurais-je pu apprendre à dessiner et exprimer tout le pouvoir des mots? L’humble bout de bois a enfanté mon intelligence du doigté, l’humble bout de bois m’a appris qu’un savoir se démontre sur une ligne définie et que l’ardeur d’un amour se dit souvent sur un fond de papier blanc.  

Chien :
Notre quatre pattes adoré, chéri. Notre compagnon. Le mot chien provient du Chinois et veut dire : celui dont la queue démontre l’état archaïque du sentiment, celui dont les yeux recherchent la tendresse et tout l’amour qui ne se dira jamais avec des mots.

Bibliothèque :
Une bibliothèque comme lieu d’hospitalité pour des univers écrits à la gloire de la connaissance. Une bibliothèque comme restaurant et comme appel de nourriture pour ceux qui ont faim. Une bibliothèque infinie au fond de soi à la recherche du lecteur de tous les mots cachés de l’âme.

Oreille :
Chapelle des bruits de la terre. Lieu secret par où transitent beauté et horreur, rythme et volupté des soupirs. Pavillon d’or attentif aux chuchotements du monde, à l’éveil d’un désir partagé. Sanctuaire sacré aux portes de l’entendement.

Marguerite :
Dentelle immaculée perchée à son bouton d’or. Marguerite célèbre les étés de nos jardins, marguerite se dandine au vent et ondule sur les vagues de chansons éternelles. Elle est la mère bouquetière de tous les enfants à naître dans ce mariage insolite de la poésie et d’un destin ignoré.