31 octobre 2012

Changer


"On fait sur soi-même le changement que l'on veut voir dans le monde"

Gandhi 

29 octobre 2012

Métaphore


« La réalité, l’endroit où nous nous trouvons, nous est invisible dès lors que nous nous y trouvons. C’est le processus du “second degré” (imagerie, allusion, intrigue) qui nous permet de voir où et qui nous sommes. La métaphore, au sens le plus large, constitue notre moyen de saisir (et parfois presque de comprendre) le monde et les êtres, si déconcertants soient-ils. Il est possible que toute notre littérature puisse être comprise comme métaphore. »

Alberto Manguel, Nouvel éloge de la folie.

Chute à l’Ours et « œil américain »


Lorsque nos yeux se portent vers le ciel étoilé, nous identifions des formes familières, des formes dessinées par l'homme : un chaudron ici, une croix là… Des dizaines de constellations sont ainsi nées de notre propre regard. Nous nous sommes projetés dans le ciel pour tenter d’expliquer toute cette immensité et ce vide prodigieux. Notre imagination a alors fini par trouver une interprétation « à ce grand silence des espaces infinis ».

Ce qui nous impressionne, ce qui nous fait sentir tout petit et impuissant, nous tentons de le conjurer en le contournant, en le soupesant et l’interprétant. C’est là le pouvoir de l’imaginaire de l’homme. C’est là son génie.

À l’approche des bruyantes cataractes de la « Chute à l’Ours », j’ai senti le même effet se produire sur moi. Je me suis tenu debout de longs instants sur les grands rochers plats bordant cette majestueuse rivière, l’Ashuapmushuan, afin de me laisser pénétrer par toute cette puissance indomptée. Il y d’autres rivières qui viennent se jeter avec panache dans le Lac Saint-Jean au Québec, mais à ce point nommé de la « Chute à l’Ours » près de Normandin, c’est comme si mon cœur avait cessé de battre. Tout d’un coup.

Une question me tarauda pendant l’heure à marcher sur le sentier bordant les rapides. Presque à l’obsession. Comment faire pour naviguer en canot sur les flots d’une telle rivière afin de se rendre sans encombre jusqu’au grand lac?

Mon imagination s’était mise au travail.

Pierre Morency dans son livre « L’œil américain » nous parle de ces premiers Européens qui ont côtoyé les autochtones en les suivant dans la forêt, sur les cours d’eau, à la chasse et la pêche. Ébahis devant leur facilité à se fondre à l’environnement, se tenir cois, scruter et traquer n’importe quels indices autour d’eux, jouer de prudence et de discrétion, bref tout voir et entendre avec acuité autour d’eux, ces Européens décrétèrent que « l’Indien » avait l’œil américain.

J’ai donc joué à l’Indien. Un Indien en compagnie de son clan. J’ai cherché tous les moyens possibles pour traverser les rapides de la Chute à l’Ours. Une impression tenace me disait qu’un passage existait, malgré les risques.

Est-ce que j’accomplirais moi-même cette chevauchée, c’est une autre histoire. Par ailleurs, en adoptant la posture de l’Amérindien, je me suis transformé en un observateur autre d’un problème concret. Avec un autre point de vue.

L’œil américain?

Quelques jours plus tard, en lisant une énième fois articles de journaux et chroniques d’humeur sur le conflit étudiant au Québec ainsi que la violence générée par les manifestations, j’ai pensé qu’il y avait un lien à faire avec ce passage à haut risque des Chutes à l’Ours. C’était peut-être ça mon obsession...

Vaut-il mieux s’aventurer avec témérité et impatience sur ces dangereux rapides ou plutôt réfléchir tranquillement aux moyens possibles de passer au travers sans nous noyer ou nous blesser inutilement?

Le chemin est long jusqu’au lac puis au fleuve puis à l’océan.

22 octobre 2012

"Rien ne va de soi"


« (…) L’existence elle-même va-t-elle de soi? Le fait de voir ou d’entendre, d’imaginer et de penser, d’aimer, va-t-il de soi? Rien ne va de soi ni ne peut aller de soi pour qui s’arrête à réfléchir. Le monde où nous sommes est extraordinaire—extraordinairement beau—et l’humain encore davantage ainsi que ne laisse pas d’en témoigner les grands artistes qui tentent sans cesse de le créer à neuf comme pour mieux nous le faire éprouver et pressentir à la fois. Et le beau est ce qui rend heureux. »

Thomas de Koninck, Philosophie de l’éducation-Essai sur le devenir humain. 

11 octobre 2012

Le génie de la pierre


Sur ma table de chevet il y a quelques pierres dispersées autour d’une pile de livres. Quartz, jaspe, agate, grappillées ici et là lors de voyages et promenades sur les grèves en bordure de la mer ainsi qu’en d’autres occasions. Ces pierres me captivent. Elles insufflent chez moi le respect de la lenteur, de la longévité ainsi que de la fragile beauté des choses. Elles me tiennent compagnie, je les observe, je les caresse parfois avant d’entreprendre mes nuits.

Ce sont mes capteurs de rêves…

Il y a un drôle de génie qui préside à l’élaboration de toutes ces images et scénarios à l’intérieur de notre sommeil. Chaque nuit, nous avons rendez-vous avec l’insoupçonné où l’imaginaire reprend une place subtilisée par nos prétendus problèmes importants et concrets. Pourtant, notre imagination vaut son pesant d’or. Ne serait-ce pas d’ailleurs la première leçon à tirer de nos rêves que de les percevoir comme guide à travers la somme d’inattendus que nous réserve la vie de tous les jours? 

Le rêve utilise nos intérêts et passions pour nous conduire dans une direction qui a une valeur pour soi. Par exemple, je ne connaissais rien à cette pierre, le jade, jusqu’à ce qu’un rêve m’en offre un aperçu pour le moins étonnant.

Je suis assis au bord de l’eau sur une plage et je regarde devant moi trois magnifiques aigrettes d’une blancheur éclatante qui marchent d’un air souverain dans la vase. J’ai un papier entre les mains. Je le froisse en le pliant, ce qui produit un son : crouk! Aussitôt les grands oiseaux blancs se tournent dans ma direction, comme étonnés. Puis ils se dirigent vers moi en marchant lentement. Peut-être, pensai-je, que j’ai émis un son significatif connu d’eux seuls et que ce son les perturbe! Ils sont maintenant debout, majestueux, juste en face de moi. Je leur demande, en m’excusant, si je les ai importunés par maladresse. Une des aigrettes se penche alors un peu, avec une manière de sourire à son immense bec, et me dit : « Non, pas du tout! » « Mais vous savez parler, leur dis-je étonné? » Aucune réponse. Les trois oiseaux se retournent alors et marchent dans une autre direction. Je les regarde s’en aller puis, subitement, une des aigrettes virevolte en battant des ailes et vient me chuchoter ces mots énigmatiques : « Conservez l’esprit du jade. »

Ce rêve fut marquant dans ma vie. D'abord, il survint durant une période trouble alors que je quittais mon emploi pour me consacrer à l’écriture. Marquant aussi par sa couleur et sa texture même. Lorsque les trois oiseaux repartent, je les vois de dos. Mais le plus bizarre, c’est que chacun porte des shorts bleus. Je distingue donc devant moi trois paires de fesses bleues allant leur chemin vers une direction inconnue... L’humour dans les rêves ne fait pas de doute pour moi.

Je fis ensuite une recherche sur cette pierre que je ne connaissais que de nom. J’appris qu’elle était très prisée par les Chinois. Ils l’appellent la pierre de Yu. Les sages chinois de l’antiquité avaient l’habitude de comparer la vertu au jade. Par exemple, à leurs yeux le poli et le brillant de la pierre figurent la vertu discrète d’humanité. Le jade est l’image de la bonté, car il est doux et onctueux au toucher. Son éclat n’étant pas voilé par ses défauts ni ses défauts par son éclat, il représente également la sincérité et l’authenticité. Il est même l’emblème de la musique, car il rend un son pur et soutenu qui s’arrête brusquement lorsqu’il est frappé.

Voilà pour la pierre. Mais qu’est-ce que ce rêve voulait me dire? Ce n’est que quelques mois plus tard qu’une interprétation plausible surgit d’une manière inattendue.

J’étais à l’écriture d’un roman. Le personnage principal et narrateur est en phase terminale, cancéreux. Je lui fais raconter ce même rêve du jade à un autre personnage, un frère dominicain danois peu conventionnel venu l’assister dans ses derniers moments. Ce frère je l’avais déjà rencontré dans un autre rêve survenu il y a une douzaine d’années auparavant. Il m’avait exhorté à me souvenir de lui et de son nom. C’est lui, qui trouvera le sens caché du rêve en question.

Dans un dialogue avec le mourant qui, il faut le souligner, tient lui-même un journal intime de ses impressions sur son expérience de fin de vie, le frère lui apprend ceci :

— Quand même! Peux-tu m’expliquer cette présence des trois grands oiseaux blancs et cet esprit du jade en prime?

— Là c’est toi qui en as déjà apporté un élément de réponse en parlant de ton écriture. Je pense tout bonnement que ton âme t’exhorte à continuer cette tâche, à ne pas froisser ou plier et jeter le papier comme dans ton rêve. L’intention de ce rêve est de te démontrer qu’il ne faut pas t’arrêter, car cette écriture te permet de découvrir quelque chose de très précieux, des joyaux qui t’apportent une richesse intérieure, cet « esprit du jade » en fin de compte.

Je poursuivis ma recherche pour en savoir encore un peu plus sur ce jade qui égale Chinois, qui égale Taoïsme…

En voici le résumé: « Taoïsme et jade vont de pair. Dans le Taoïsme on retrouve une variété incroyable de divinités. Il y a des personnages légendaires, mais aussi une sorte de « bureaucratie céleste » parmi laquelle on retrouve les Trois Purs (Sanqing) qui symbolisent trois niveaux d’accomplissement ainsi que trois formes d’énergie. Ces Trois Purs représentent cette capacité de vivre en équilibre avec le monde ou encore d’orienter le travail sur le raffinement de l’esprit pour se fondre dans le Tao, ce qui se nomme la “Pureté du Jade”. Il y à aussi une île imaginaire ou mythique sur laquelle poussent des champignons d’immortalité et qui est décrite comme ceci : tout dans cette île est doré et de jade. Les animaux sont d’une parfaite blancheur, la végétation d’essences précieuses est luxuriante; les fleurs et les fruits, quand on les mange, préservent de la vieillesse et de la mort. Les habitants de cette île sont des génies et des sages… »

Je ne sais quoi dire. Surtout que je ne connaissais à peu près rien sur le Taoïsme ainsi que sur le jade.

Génie de la pierre? Génie du rêve?

9 octobre 2012

L’art perdu de plier une serviette de bain.

Nous étions une vingtaine de personnes regroupées dans un local afin de recevoir une formation d’une semaine sur la communication en entreprise. Autant de femmes que d’hommes, si je me souviens. Un beau mélange dans une ambiance détendue. Les formateurs se présentèrent puis, pour casser la glace, ils sortirent d’une boîte quelques serviettes de bain énigmatiques. Afin d’effectuer un petit exercice…

On nous divisa en cinq groupes, une serviette chacun. On nous demanda ensuite de la plier du mieux que nous pouvions. Avec trois minutes pour s’exécuter. Trois trop courtes minutes.

Est-ce que nous avons réussi? Pas vraiment. « C’est comme ça, ou quoi, que l’on plie une serviette? » « Attends, je vais te montrer, un gars ne sait pas comment faire! » Un gros tumulte pour une si petite tâche. Puis on passa au verdict des formateurs.

Bien sûr, il n’y a pas de bonnes ou mauvaises manières de plier une serviette de bain. On peut même la rouler si on veut. L’exercice avait simplement pour but de communiquer ensemble afin de découvrir qu’il y a effectivement mille et une façons de plier une serviette.

Nous avons bien ri, mais jaune… Ce n’était pas une question d’aptitude, ni de sexe surtout. Il fallait juste se parler, en discuter.

Là est la difficulté pourtant.

Imaginons un peu lorsque le propos ou la tâche à réaliser sont beaucoup plus complexes, avec des conséquences déterminantes. Lorsque nous tombons aussi dans le vaste domaine des idées ou croyances, dans l’interprétation à donner aux événements de la vie.

Que faisons-nous? Avons-nous le courage de nous écouter et d’accepter sincèrement la diversité des points de vue entendus?

C’est ma grande question, mon grand soupir…
                                                  

Le temps des questions


« Chaque chose au monde porte en elle sa réponse, ce qui prend du temps ce sont les questions. » 

Le Dieu manchot, José Saramago