Sur ma table de chevet il y
a quelques pierres dispersées autour d’une pile de livres. Quartz, jaspe, agate,
grappillées ici et là lors de voyages et promenades sur les grèves en bordure
de la mer ainsi qu’en d’autres occasions. Ces pierres me captivent. Elles insufflent chez moi le respect de la lenteur, de la longévité ainsi que de la
fragile beauté des choses. Elles me tiennent compagnie, je les observe, je les
caresse parfois avant d’entreprendre mes nuits.
Ce sont mes capteurs de rêves…
Il y a un drôle de génie qui
préside à l’élaboration de toutes ces images et scénarios à l’intérieur de
notre sommeil. Chaque nuit, nous avons rendez-vous avec l’insoupçonné où
l’imaginaire reprend une place subtilisée par nos prétendus problèmes
importants et concrets. Pourtant, notre imagination vaut son pesant d’or. Ne
serait-ce pas d’ailleurs la première leçon à tirer de nos rêves que de les
percevoir comme guide à travers la somme d’inattendus que nous réserve la vie
de tous les jours?
Le rêve utilise nos intérêts
et passions pour nous conduire dans une direction qui a une valeur pour soi.
Par exemple, je ne connaissais rien à cette pierre, le jade, jusqu’à ce qu’un
rêve m’en offre un aperçu
pour le moins étonnant.
Je suis assis au bord de
l’eau sur une plage et je regarde devant moi trois magnifiques aigrettes d’une
blancheur éclatante qui marchent d’un air souverain dans la vase. J’ai un
papier entre les mains. Je le froisse en le pliant, ce qui produit un
son : crouk! Aussitôt les grands oiseaux blancs se tournent dans ma
direction, comme étonnés. Puis ils se dirigent vers moi en marchant
lentement. Peut-être, pensai-je, que j’ai émis un son significatif connu d’eux
seuls et que ce son les perturbe! Ils sont maintenant debout, majestueux, juste
en face de moi. Je leur demande, en
m’excusant, si je les ai importunés par maladresse. Une des
aigrettes se penche alors un peu, avec une manière de sourire à son immense
bec, et me dit : « Non, pas du tout! » « Mais vous
savez parler, leur dis-je étonné? » Aucune réponse. Les trois
oiseaux se retournent alors et marchent dans une
autre direction. Je les regarde s’en aller puis, subitement, une des aigrettes
virevolte en battant des ailes et vient me chuchoter ces mots
énigmatiques : « Conservez l’esprit du jade. »
Ce rêve fut marquant dans ma
vie. D'abord, il survint durant une période trouble alors que je quittais mon
emploi pour me consacrer à
l’écriture. Marquant aussi par sa couleur et sa texture même. Lorsque les trois oiseaux repartent, je les vois
de dos. Mais le plus bizarre, c’est que chacun porte des shorts bleus. Je
distingue donc devant moi trois paires de fesses bleues allant leur chemin vers
une direction inconnue... L’humour dans les rêves ne fait pas de doute pour moi.
Je fis ensuite une recherche sur
cette pierre que je ne connaissais que de nom. J’appris
qu’elle était très prisée par les Chinois. Ils l’appellent la pierre de Yu. Les sages
chinois de l’antiquité avaient l’habitude de comparer la vertu au jade. Par
exemple, à leurs yeux le poli et le brillant de la pierre figurent la vertu
discrète d’humanité. Le jade est l’image de la bonté, car il est doux et onctueux au
toucher. Son éclat n’étant pas voilé par ses défauts ni ses défauts par son
éclat, il représente également la sincérité et l’authenticité. Il est même l’emblème
de la musique, car il rend un son pur et soutenu qui s’arrête brusquement lorsqu’il
est frappé.
Voilà pour la pierre. Mais qu’est-ce
que ce rêve voulait me dire? Ce n’est que quelques mois plus tard qu’une
interprétation plausible surgit d’une manière inattendue.
J’étais à l’écriture d’un
roman. Le personnage principal et narrateur est en phase terminale, cancéreux. Je
lui fais raconter ce même rêve du jade à un autre personnage, un frère
dominicain danois peu conventionnel venu l’assister dans ses
derniers moments. Ce frère je l’avais déjà rencontré dans un autre rêve survenu
il y a une douzaine d’années auparavant. Il m’avait exhorté à me souvenir de
lui et de son nom. C’est lui, qui trouvera
le sens caché du rêve en question.
Dans un dialogue avec le
mourant qui, il faut le souligner, tient lui-même un journal intime de ses impressions sur son expérience de
fin de vie, le frère lui apprend ceci :
— Quand même! Peux-tu
m’expliquer cette présence des trois grands oiseaux blancs et cet esprit du
jade en prime?
— Là c’est toi qui en as déjà
apporté un élément de réponse en parlant de ton écriture. Je pense tout
bonnement que ton âme t’exhorte à continuer cette tâche, à ne pas froisser ou
plier et jeter le papier comme dans ton rêve. L’intention de ce rêve est de te
démontrer qu’il ne faut pas t’arrêter, car cette écriture te permet de
découvrir quelque chose de très précieux, des joyaux qui t’apportent une
richesse intérieure, cet « esprit du jade » en fin de compte.
Je poursuivis ma
recherche pour en savoir encore un peu plus sur ce jade qui égale Chinois, qui
égale Taoïsme…
En voici le résumé: « Taoïsme et jade vont de pair. Dans le Taoïsme on retrouve
une variété incroyable de divinités. Il y a des personnages légendaires, mais
aussi une sorte de « bureaucratie céleste » parmi laquelle on retrouve les
Trois Purs (Sanqing) qui symbolisent trois niveaux d’accomplissement ainsi que
trois formes d’énergie. Ces Trois Purs représentent cette capacité
de vivre en équilibre avec le monde ou encore d’orienter le travail sur le
raffinement de l’esprit pour se fondre dans le Tao, ce qui se nomme la “Pureté du Jade”. Il y à aussi une île imaginaire ou mythique
sur laquelle poussent des champignons d’immortalité et qui est décrite comme
ceci : tout dans cette île est doré et de jade. Les animaux sont d’une parfaite
blancheur, la végétation d’essences précieuses est luxuriante; les fleurs et
les fruits, quand on
les mange, préservent de la vieillesse et de la mort. Les habitants de cette
île sont des génies et des sages… »
Je ne sais quoi dire. Surtout
que je ne connaissais à peu près rien sur le Taoïsme ainsi que sur le jade.
Génie de la pierre? Génie du
rêve?