25 juillet 2012

Asphaltage


"Ma pire crainte? L’asphaltage! L’asphalte prolifère sur notre terre, recouvre dans son avancée pétrifiante et mortifère ce qui hier encore était un verger, une prairie! Le chiffre de la superficie gagnée chaque jour par cette marée noire est si effrayant que je me suis hâtée de l’oublier. Asphalte dehors, asphalte en nous. Mon épouvante, c’est l’asphaltage de nos terres intérieures, les coupes sombres dans la forêt tropicale de nos imaginaires."

Christine Singer in Nouvelles Clés

23 juillet 2012

Changer d'oeil


« Un homme de 50 ans qui voit le monde du même œil que lorsqu’il avait 20 ans a perdu 30 ans de sa vie…" 
Mohamed Ali 

Le chemin le plus beau et... le GPS


J’hésite encore à me munir d’un GPS. Il y a les cartes, il y a le pif. Et puis j’ai encore et toujours cette manie de vouloir prendre un chemin à l’écart du plus connu et emprunté. Juste pour voir, juste pour explorer. Un attrait, une beauté seraient peut-être perdus à tout jamais. Pas nécessaire d’aller bien loin. À pied, dans notre ville, à vélo, en campagne, dans un coin perdu du pays. Autant de découvertes et d’inattendu qui brillent dans l’espoir d’être reconnus.

Ce matin, je tombe sur ce texte de Foglia dans La Presse. Voici ce qu’il en dit. Croustillant…

« Parlant de cyclos, l'autre samedi j'en croise un petit groupe à l'arrêt, à la croisée de plusieurs chemins. J'arrête. Vous êtes perdus?

On ne peut pas se perdre avec ça, me répond un des gars en montrant un GPS fixé à son avant-bras. Ils allaient à Philipsburg. J'y allais aussi. On a roulé un peu ensemble, et puis ils ont tourné à gauche, moi je suis allé tout droit.

Hé hé c'est par là, m'a crié le gars en vérifiant sur son GPS.

Il avait raison. Enfin, son GPS avait raison. C'est incroyable ces trucs-là. Ça sait tout. Quel chemin est le plus direct, quel chemin est le plus plat, quel chemin est en gravelle, ma foi je pense que le GPS sait même s'il y a des bananes au dépanneur du village. Il y a juste un truc que le GPS ne sait pas et ne saura jamais: quel chemin est le plus beau. »

19 juillet 2012

Le vent se lève...


Le vent se lève!… Il faut tenter de vivre!
L’air immense ouvre et referme mon livre,
La vague en poudre ose jaillir des rocs!

Paul Valéry

18 juillet 2012

Les mots (9)


Oreiller :
Nous reposons sur l’oreiller à l’aube de toutes les vérités. Niche à mystère, des mondes sans fin s’y engouffrent. Cet oreiller de plumes transforme en oiseau l’être onirique, un autre recueille les plus touchantes des émotions. Un dialogue avec notre oreiller vaut mille monologues avec un psy… 

Rue :
Dans la rue, la vie commence. Le carré de sable, c’est pour s’amuser… La rue conduit vers ailleurs, l’ailleurs au creux de soi, et en soi nous parcourons les ruelles de l’âme à l’affût des désirs cachés et des ambitions inavouées. Toutes les rues du monde cartographient des territoires à conquérir.

Merle :
Son chant est louange au printemps : chante, merle, chante! À l’aube, lorsque tout est silence, il annonce la lumière. Au crépuscule, il glorifie le calme du repos. Nous sommes des merles, le savons-nous?

Guitare :
J’avais passé un accord avec elle. Elle chanterait mes joies, mes peines, collée contre mon corps, à portée de doigts. Sur chacune de ses cordes glissèrent des milliers de mots imprononçables, sur chacune de ses cordes jaillirent la délivrance, la vibration intime du non-dit.

Nez :
Seul au milieu du visage, tu renifles le temps, la chair et les parfums du monde. Tu es seul, mais tu as du pif. Tu vois l’invisible, ce n’est pas rien. Tu es mon préféré, tu es la partie émergée de la grande profondeur intuitive de l’être. Je te veux subtil et fin.

Tomate :
Il ne faut pas lancer la tomate, elle est « pomme d’amour »! Plutôt faut-il rougir en sa compagnie en la tâtant, en la humant puis la croquer et savourer sa chaire délicieuse. Une tomate par jour nous éloigne de la bête déprime.

Étoile :
Il y aurait une étoile dans le ciel pour chaque personne ici-bas, dit-on. Si elle attend la nuit pour se révéler, il faut se garder de l’oublier. Jamais elle ne disparaîtra. Elle se laisse désirer pour mieux nous guider lorsque notre lumière personnelle termine de nous éblouir.   

16 juillet 2012

Cailloux blancs, chocs de l’existence…


Vous vous souvenez de ces petits cailloux tout blancs que nous prenions pour jouer durant notre enfance? Nous ramassions et conservions les plus beaux spécimens afin de les utiliser pour une expérience qui nous fascinait chaque fois. Deux cailloux suffisaient. Nous trouvions un endroit sombre et ensuite notre bonheur était de produire des étincelles en faisant s’entrechoquer les deux pierres blanches et lisses en question.

Nous avions le pouvoir du feu. Le pouvoir de créer une lueur avec presque rien, de faire de la lumière.

Est-il possible d’y voir un rapprochement avec notre vie et la relation que nous entretenons avec les autres que nous côtoyons dans notre cheminement? Même chose avec nos idées?

Je vois le contact avec le dissemblable, le fait de se heurter comme un entraînement à la réflexion ou une remise en question de notre assurance, parfois même de notre suffisance. Nous pensons sans doute qu’il nous faut éviter le plus possible les différends, l’opposition ou les chocs causés par le manque d’harmonie. Je prétends qu’ils sont nécessaires, car c’est souvent de cette expérience de confrontation que naît une compréhension nouvelle sur notre situation et celle du monde qui nous entoure. L’essentiel demeurant d’apprendre, de comprendre et d’aimer.

Cet essentiel, c’est aussi l’étincelle. Et il faut être deux pierres pour faire jaillir une lumière…
  
J’ai mis bien du temps à reconnaître ce fait. La lassitude, un certain désespoir et même l’envie de fuir m’a déjà conduit à rejeter tout affrontement préjudiciable à mon état. Une hypersensibilité me retenait aussi d’argumenter outre mesure. Je me cherchais un refuge, évitais tout débordement. Je voulais la paix.

Avant d’en arriver là, j’avais cependant abusé de mes forces. Se frotter à l’autre demeure un art, un art qui demande discernement et respect. Je m’étais brûlé les fesses. Abuser des chocs et trop d’étincelles peuvent nous consumer. À tout le moins faut-il comprendre la leçon.

C’est encore une fois en écoutant de la musique, bien calé dans un fauteuil, abasourdi et un peu sonné par les événements, que j’ai vu la direction à prendre. Je l’ai écrit dans mon journal :

« Une musique splendide m’a touché droit au cœur, ce soir. Elle m’a touché comme les yeux amoureux d’une femme. J’ai échappé à l’état d’apesanteur puis, l’âme délivrée, j’ai imaginé que cette musique pourrait servir à embellir la mort, ma mort, au moment de mes premiers pas dans l’au-delà. Je me suis ensuite retrouvé à quelques mètres du sol et mon regard a embrassé l’assistance venue à mon départ dans une cathédrale construite au cœur de la forêt.

J’étais tout sourire. J’étais comme un oiseau fou de liberté qui dessine des arabesques dans l’air, grisé par la joie. Je savais tous ces gens dans un autre état que le mien. Il ne pouvait me voir, moi si. Et mes yeux se penchèrent sur leurs têtes, celles que j’avais connues et qui avaient jalonné le parcours de mon existence. Ils étaient tous là. Pas seulement mes amis… Tous.

Je les remerciai du fond du cœur de m’avoir assisté dans cette mystérieuse aventure vécue ici-bas. Surtout ceux et celles qui m’ont tendu des pièges si brillants qui ne font qu’augmenter l’attrait de la liberté. Surtout ceux et celles qui, avec régularité, m’ont arraché de la torpeur en m’attirant vers de si nombreuses et vraisemblables illusions.

Comment ne pas les remercier en effet? Ils furent les nuits noires qui annoncent la brillance du jour. Ils furent le bruit des rumeurs et du désordre se dispersant à travers la brûlure du silence. Ils furent l’hiver de toutes mes douleurs qui fondent à l’apogée de l’été.

Au retour de ce voyage, j’ai lu le texte qui a inspiré l’auteur de cette musique, Johann Fischer. Il me dit ceci :

« À présent je souhaite maintes bonnes nuits,
À toi, monde, et à ton existence,
Car mon Seigneur m’a rappelé,
Et je suis à présent guéri.
Salut à toi, ciel étoilé,
Je quitte les désordres de ce monde!
Sois saluée, route de la vie,
Sois abandonné, ciel fallacieux!

Je te salue donc route de la Vie sans laquelle aucune destination n’est possible! »

9 juillet 2012

Le noeud du mystère


De quelle manière le visible est-il relié à l’invisible, le sacré au profane, le corps à l’âme? Par mille fils emmêlés les uns aux autres et réunis en un nœud. Couper le nœud entérine le drame de l’Occident. (…) Le nœud exprime le mystère du monde créé. Rien n’est linéaire, ni causal, ni prévisible. Le nœud nous dit : prends soin du monde et de tout ce que tu rencontres. L’inattention te coûterait cher, te ferait rater les plus grands rendez-vous. Tu ne sais jamais à quoi le fil que tu tiens est relié de l’autre côté. À l’autre bout.

Christiane Singer. 

8 juillet 2012

Les parfums de la vérité


Il y a des odeurs qui ont le don de me faire chavirer. Des senteurs de la forêt, de petites fragrances délicates qui grimpent le long du corps et se frayent un chemin jusqu’au frétillement des narines. Je pense, entre autres, au parfum qui émane du tapis douillet d’épines brunâtres éparpillées sous un bouquet de pins. Cette odeur suave si singulière, elle vient me prendre une parcelle de raison. Elle me monte à la tête le temps de quelques soupirs puis s’envole, disparaît. Je voudrais bien la retenir, elle me glisse plutôt entre les doigts du nez, si je peux dire. Je reviens sur mes pas, comme une fois dans une forêt humide près d’un cours d’eau; je veux la retrouver avec empressement, mais elle a disparu…

Je ne contrôle rien. Je sens que je suis plutôt la proie des odeurs de la terre.

Voilà une métaphore de la vérité, me suis-je déjà dit. On croit avoir saisi, on croit avoir enfin perçu l’ultime, le moment de grâce, l’absolu au-delà duquel il n’y a plus rien. Mais il y a un hic.

C’est plus subtil. On ne peut retenir la vérité, elle a une vie propre…

Nous passons la première partie de notre existence à nous construire une raison et à nous faire une idée ou une image du monde et du réel dans lequel nous vivons. Nous élevons un bel échafaudage avec tout ce que nous connaissons, avec nos tendances, notre instinct. Nous n’en sommes pas peu fiers. Puis surgit lentement cet autre versant, la deuxième partie de la vie, celui de la vieillesse.

Arrive le temps de prendre le temps. L’être que nous sommes s’est gorgé de sensations et d’apprentissages. Il peut opter pour la sécurité et reproduire inlassablement les mêmes expériences et se conforter avec ce qu’il a édifié. Il peut dire qu’il en a assez, qu’il en a assez vu et entendu. Il a besoin de repos et de confort, il a besoin de quelque chose de solide jusqu’à la fin. Il a besoin de certitudes.

Existe-t-il une autre option? Je le pense.    

Elle exige de perdre la raison. Non pas d’un coup, à petite dose seulement, question de demeurer en prise avec la réalité de tous les jours et de laisser savoir que nous avons quand même les deux pieds sur terre, en temps voulu. Elle exige de l’espace, de l’air, de la liberté. Elle demande surtout de s’affranchir des millions de données qui nous ont envahis, avec notre assentiment ou non, tout au long de notre parcours ici-bas.

Cette autre option prône le détachement, l’effritement du bloc compact qui a servi à construire la première partie de notre vie. Elle prône l’abandon.

Je perçois l’âme de chaque être comme une corde tendue entre la terre et le ciel, entre le visible et l’invisible, le temps et l’éternité. Cette corde a le désir de vibrer et d’exprimer sa musique subtile, c’est sa nécessité. Prisonnière dans un bloc compact de certitude, elle n’a pas d’avenir. Elle nous dit, chaque fois qu’elle le peut, elle nous dit de toutes les manières possibles qu’elle en a assez du lourd fardeau de nos constructions mentales et de nos vérités à rabais.

C’est pourquoi elle nous entraîne sur des chemins d’odeurs afin de nous faire goûter aux parfums de vérité qui nous délogeront lentement de notre suffisance.


6 juillet 2012

Je suis d’une indécrottable innocence


Qui voudrait d’un plaidoyer sur l’innocence, c’est un peu tristounet, non? Je vais l’assumer plutôt. Discrètement.

Je veux dire que je ne vois rien. J’ai beau regarder l’existence autour de moi avec curiosité, je m’informe, parfois avec avidité, tout m’intéresse. Je grappille et picore ici et là comme un oiseau cherchant sa pitance. C’est la philosophie du moineau, comme l’aime à dire Christian Bobin. Mais je le répète, je ne vois rien, pire je ne sais rien. Je suspends mon jugement sur toutes choses, je cherche et j’explore en profondeur. Après avoir vu bien en face, après avoir marché, parlé et mangé avec, expérimenté, après un temps considérable à sentir, toucher, entendre, lire et étudier, j’ose alors me faire une pensée, une compréhension. Pas avant.

Prenez par exemple la question de la corruption. Elle prend de la place cette question, un peu partout dans le monde, y compris au Québec. À lire chroniqueurs, réseaux sociaux, nos voisins et amis et à entendre certains groupes de pression, nous sommes à l’ère du tout corrompu. D’où l’indignation, d’où les parades bruyantes, les cris et les vociférations. Nous voyons le mal partout autour de nous, ce qui contribue aux inégalités, à l’injustice et préfigure plein de catastrophes à venir.

Moi je ne vois rien, je suis fait d’innocence…

J’entendais l’autre jour un artiste-animateur claironner que ça va très, très, très mal au Québec. Je vois plutôt un endroit merveilleux où il fait bon vivre, librement, à travers l’abondance et la diversité, avec des opportunités à profusion. Je vois une démocratie modeste, fragile certes, avec ses institutions qui nous protègent adéquatement malgré parfois ses manques et ses maladresses, il faut le reconnaître. Mais, somme toute, est-ce que ça va si mal que ça? Je suis prêt à accepter l’existence de manigances, de combines et d’entourloupes pour s’attribuer une faveur, qu’elle soit en espèce ou de toute autre manière. Je peux sentir la tricherie, la malhonnêteté. Mais en est-il autrement depuis l’aube des temps? L’espèce humaine n’est-elle pas ainsi faite? Y compris, donc, soi-même en premier lieu!

Je suis surpris de la vitesse fulgurante que nous prenons pour cataloguer et juger n’importe quel sujet. Rapide sur la gâchette, tu dis! Nous tirons plus vite que notre ombre. Ce qui nous branche, c’est la recherche d’un bouc émissaire ou d’un coupable désigné afin de remplir notre cartographie des malheurs et des imperfections du monde. Ce qui nous dispense par ailleurs de jeter un regard en nous-mêmes, il fait trop noir et on ne verrait rien de toute façon, alors à quoi bon?

N’empêche. Ne serait-il pas salutaire parfois d’aller jeter un coup d’œil à notre propre esprit, question de lever le lièvre de la corruption? La chasse est toujours ouverte, il me semble.

À travers la forêt touffue de l’ignorance, je vois et entends une multitude de mots qui sautillent et gambadent en toute impunité, des mots qui font pourrir les idées. On se traite de fascistes, d’hitlérien et le tour est joué, inutile de dialoguer et d’argumenter, trop fatigant. On ne devrait jamais sous-estimer notre paresse ou notre inculture quand vient le temps d’exprimer notre opinion. Nous préférons sans doute surfer sur la rumeur ambiante et nous coller au conformisme afin de nous rassurer sur notre bonne conscience, d’être du bon bord, du côté du bien il va sans dire. En passant, ce côté du bien se trouve toujours dans ce qui devrait être, dans ce qui n’existe pas, donc qui est parfait en soi puisqu’il a pour origine notre propre idéal. Qu’il serait bon, nous disons-nous, que tous pensent comme moi, ça irait si bien!

Mais le réel est tellement insondable, incontrôlable et fou.

Autre corruption : réduire l’existence, la vie cette chose incommensurable, grandiose et mystérieuse à sa seule réalité sociale et économique. N’est-ce pas un tantinet exagéré? N’est-ce pas une variante du « tout est politique » qui a marqué l’existence du totalitarisme au 20e siècle?

Est-ce que tout est noir ou blanc?  La diversité infinie de couleurs n’est-elle pas plus attrayante et conforme au réel? Tout comme la diversité des êtres, des langues, des religions et conceptions du monde?

Je suis le parangon de l’innocence. Je ne vois rien, ne comprends rien. Je ne sais pas, je cherche. Je cherche, je ne sais pas…

S'il vous plait, n’essayez pas de me changer!