J’étais assis confortablement
dans la salle d’attente, au garage. Pour une réparation mineure de mon auto. Une
heure trente environ, à patienter. Avec le temps, les choses se brisent, la
matière se dégrade ou s’abime. C’est une loi de la nature, aussi bien se faire
une idée…
Donc, j’attendais. Mais avec
une lecture sous la main : C.G. Jung, l’Âme et la Vie. Rien que du solide,
une pensée à méditer la vie durant, si le cœur vous en dit. Moi, il m’en dit. Et
je me trouvais quelque part entre la lune et Jupiter à soupeser un paragraphe,
quand une présence me tira subitement du lit douillet de la contemplation. Je
fis une pirouette suivie d’un salto arrière avec coefficient de difficulté à
9,2, et je me retrouvai à nouveau dans mon corps, sain et sauf.
La présence, une dame dans la
cinquantaine avec un joli sourire à l’avenant, s’assit sur la chaise à côté de
moi. Elle entreprit la conversation en soulignant son étonnement de me voir
avec un livre dont le titre possède le mot "Âme". Moi aussi je m’intéresse à
l’âme, me dit-elle. Me vint furtivement l’idée de lui demander de préciser ce
qu’elle entendait par ce mot, mais je m’abstins. Trop ceci, trop cela… Puis
elle me sortit l’artillerie lourde : la bible, La tour de garde. J’avais à
côté de moi un « témoin de la vérité, une amie de Jéhovah ». Elle
parla, j’écoutai. À un moment donné, je lui dis sincèrement que je trouvais
belle sa ferveur, que j’admirais son enthousiasme, son envie d’absolu. Elle me
remercia. Toutefois, je lui fis part aussi que, bien franchement, je ne pouvais
pas souscrire à son interprétation des choses, telle que voir le mal partout,
voir ce diable fou en action dans le désordre de la vie et ses institutions,
voir la corruption à l’œuvre dans chaque geste et décision prises autour de nous.
Je lui dis ça pour la soulager quelque peu en pensant qu’il ne devait pas être
drôle de porter en soi à chaque heure du jour un message d’apocalypse et
d’Armageddon à venir. Ne faites-vous pas un peu de boudin et de projection,
osai-je alors lui susurrer à l’oreille? Là elle se raidit et je sus que c’en
était terminé. À vrai dire, j’avais fait exprès. Je ne voulais pas me faire
contaminer davantage.
Ce discours si prévisible et
cousu de fil blanc sur l’horreur du monde et ce besoin de perfection me
bouleverse à chaque fois. Je vois des gens inquiets et désorientés à la
recherche d’une lumière dehors, là quelque part, incarnée dans une personne,
une religion, une idéologie, qui viendrait prendre en charge la vie entière et qui
donnerait enfin un sens à ce foutu bordel inexplicable. Toujours la même
affliction sur l’imperfection du monde, toujours cette attente après quelque
chose de grandiose et d’immuable, un paradis définitif. Puis nous finissons par désespérer, car
l’ignominie semble se perpétuer à jamais.
Quand même étonnant de constater que jamais nous ne pensons à chercher une solution en nous-mêmes. Autrement
dit, comment prétendre changer quoique ce soit pour le mieux à l’extérieur
alors qu’en soi il n’y a que peur, agressivité, envie d’en découdre avec
l’autre, ressentiment et j’en passe? Peut-être serait-il temps de commencer à
réparer ce monde fissuré de partout qui existe bel et bien en nous. Et
retrouver une sorte de paix ou à tout le moins d’accalmie. Non, non et non,
qu’on nous dit, nous sommes victimes, et puis à quoi bon!
Est-il si inconcevable d’aimer
le devenir, le changement et l’imperfection des choses? « Nous sommes en permanence nécessaires à la
création quotidienne du monde. Nous ne sommes jamais les gardiens d’un accompli,
mais toujours les cocréateurs d’un devenir », nous rappelle Christiane
Singer.
Ce n’est pas juste un détail.
Il y a de l’ouvrage qui nous attend…
« Et soudain la voix à mon
oreille : Et qu’attends-tu pour devenir celui que tu attends? » C. Singer