28 juin 2012

Logique déraisonnable


« J’ai des problèmes avec la logique. Je n’ai jamais compris comment on pouvait dire une chose et faire son contraire. Jurer qu’on aime quelqu’un et le blesser, avoir un ami et l’oublier, se dire de la même famille et s’ignorer comme des étrangers, revendiquer des grands principes et ne pas les pratiquer, affirmer qu’on croit en Dieu et agir comme s’il n’existait pas, se prendre pour un héros quand on se comporte comme un salaud. »

Jean-Michel Guenassia, Le Club des incorrigibles optimistes.
   

23 juin 2012

18 juin 2012

Lune


« Papa, Saturnin dit que la lune c’est plus utile que le soleil. C’est vrai? Qu’est-ce qui te fait dire ça? demanda l’homme au gamin. La lune éclaire la nuit, le soleil n’éclaire que le jour, c’est moins dur. »

Michel Folco, Dieu et nous seuls pouvons.

16 juin 2012

Histoire de montres


Le temps fuit… et les montres se brisent. Les aiguilles ralentissent, le mécanisme s’empoussière. La pile a des ratés tels un vieux cœur malade et fatigué, et vient un temps où elle doit passer sous le bistouri comme toute bonne matière qui respecte cette mystérieuse loi de l’entropie.

Je reviens d’une visite à mon vieux père Alzheimer. Sa montre ne tient plus le temps, elle ironise sur sa mémoire, elle garde toujours la même heure. « Je vais la faire réparer, lui dis-je ».  « Non, non, elle va bien, ce n’est pas nécessaire ». Le temps s’est arrêté, a disparu, mais quelle importance pour lui. Il est entré corps et âme dans un éternel présent qu’aucune montre, si précise soit-elle, ne saurait faire dévier.

Plus tard dans la journée, je vais faire une marche rapide, pour entretenir le cœur justement, pour qu’il ne me laisse pas tomber trop vite et que son tic-tac se maintienne de façon régulière. À quelques pas d’une intersection achalandée, je croise un vieil homme aveugle. Il marche difficilement. Je lui propose de l’aider à traverser la rue. Il accepte avec joie. À la blague, je lui dis qu’il va trop vite pour moi, je suis essoufflé… Nous rions de bon cœur.  Nous continuons à marcher, il me tient le bras. La conversation s’engage sur son handicap. Il me dit qu’il lui reste un 3% de vision sur son œil gauche et que jusqu’à l’âge de 26 ans il voyait correctement. Puis tout a basculé suite à une maladie.

Autre intersection. Nous traversons la rue à la vitesse d’un escargot. Je remarque alors la montre qu’il porte. La vitre qui recouvre le cadran s’ouvre et se referme à la cadence du mouvement de son bras. Il me dit qu’elle est faite ainsi. D’un coup de poignet, la vitre se pousse pour lui permettre d’apposer ses doigts sur des petits pointillés qui lui indiquent l’heure. Il ajoute cependant qu’elle aurait besoin d’un entretien, « elle est pleine de saleté et la vitre est tout le temps ouverte ». Il rit de nouveau. Rien n’a d’importance, le temps, la vitesse qu’il se déplace, la rue, les autos, la folie du monde.

Nous nous laissons. Il me remercie chaleureusement et je pars de mon côté en pensant à son courage.

11 juin 2012

Faire le bien...


« Il était fort dévot; il croyait avoir avec le Seigneur un pacte secret, qui le dispensait de faire le bien, en échange de force prières et actes de dévotion. »

Borgès, L'Aleph. 

9 juin 2012

Courir, la nuit...


Je n’ai jamais compris le phénomène. Est-il dérisoire? Peut-être bien, mais comme il me revient souvent en mémoire et affleure mon esprit encore aujourd’hui, je m’interroge.

Enfant, je n’en avais que pour la course. Nous avions beaucoup d’espace, faut-il le préciser. Beaucoup d’espace pour beaucoup d’enfants, beaucoup de jeux et de liberté. Nous avions de l’ardeur et de l’énergie à revendre et notre environnement permettait des débordements qui se soulageaient sans être brimés constamment.

Nous avions des milles à courir sur tous les terrains, dans toutes les rues. Nous avions surtout du temps, car le temps à cette époque coulait lentement. Il coulait à travers champs en fleur et sentiers sur le cap en surplomb du grand fleuve, dans ma ville encore humaine dans ses dimensions et dans mes veines. Il coulait en abondance et je devais en profiter, pas question d’en perdre une seule goutte.

Mes jambes m’obligeaient à prendre d’assaut ce qui m’appartenait. Donc je courais d’une place à l’autre, je volais. Parfois j’étais grisé par la rapidité de mes déplacements, il me semblait battre tous les records. J’avais la shape, le physique de l’emploi.

Même le soir venu, il n’était pas question de ralentir. Je courais encore. C’est alors que je me suis aperçu, vers l’âge de sept ou huit ans pas plus, que ma course semblait plus rapide le jour tombé. Comme si, à la noirceur, la distance entre deux points rétrécissait. Je répétais souvent l’expérience, et à chaque fois même constat : aussitôt la nuit tombée, je dévalais les distances à une vitesse encore plus folle que le jour. Pourquoi cette impression?

Marcher dans le noir apporte le repos de la raison, me suis-je souvent dit. La noirceur nous illumine-t-elle de ce fait? Nous suggère-t-elle d’essayer de nous envoler et de retrouver une liberté perdue au main de cette tyrannie de la raison toute puissante? Même notre corps le saurait et nous ouvrirait le chemin. Est-ce le message que ce jeune corps d’enfant voulait me laisser savoir?

Il serait alors bon de délaisser un peu le confort de notre raison et de magnifier le désir de liberté en augmentant la vitesse de notre envol.

La noirceur porte conseil, assurément.


4 juin 2012

Le diable est dans les détails


J’étais assis confortablement dans la salle d’attente, au garage. Pour une réparation mineure de mon auto. Une heure trente environ, à patienter. Avec le temps, les choses se brisent, la matière se dégrade ou s’abime. C’est une loi de la nature, aussi bien se faire une idée…

Donc, j’attendais. Mais avec une lecture sous la main : C.G. Jung, l’Âme et la Vie. Rien que du solide, une pensée à méditer la vie durant, si le cœur vous en dit. Moi, il m’en dit. Et je me trouvais quelque part entre la lune et Jupiter à soupeser un paragraphe, quand une présence me tira subitement du lit douillet de la contemplation. Je fis une pirouette suivie d’un salto arrière avec coefficient de difficulté à 9,2, et je me retrouvai à nouveau dans mon corps, sain et sauf.

La présence, une dame dans la cinquantaine avec un joli sourire à l’avenant, s’assit sur la chaise à côté de moi. Elle entreprit la conversation en soulignant son étonnement de me voir avec un livre dont le titre possède le mot "Âme". Moi aussi je m’intéresse à l’âme, me dit-elle. Me vint furtivement l’idée de lui demander de préciser ce qu’elle entendait par ce mot, mais je m’abstins. Trop ceci, trop cela… Puis elle me sortit l’artillerie lourde : la bible, La tour de garde. J’avais à côté de moi un « témoin de la vérité, une amie de Jéhovah ». Elle parla, j’écoutai. À un moment donné, je lui dis sincèrement que je trouvais belle sa ferveur, que j’admirais son enthousiasme, son envie d’absolu. Elle me remercia. Toutefois, je lui fis part aussi que, bien franchement, je ne pouvais pas souscrire à son interprétation des choses, telle que voir le mal partout, voir ce diable fou en action dans le désordre de la vie et ses institutions, voir la corruption à l’œuvre dans chaque geste et décision prises autour de nous. Je lui dis ça pour la soulager quelque peu en pensant qu’il ne devait pas être drôle de porter en soi à chaque heure du jour un message d’apocalypse et d’Armageddon à venir. Ne faites-vous pas un peu de boudin et de projection, osai-je alors lui susurrer à l’oreille? Là elle se raidit et je sus que c’en était terminé. À vrai dire, j’avais fait exprès. Je ne voulais pas me faire contaminer davantage.

Ce discours si prévisible et cousu de fil blanc sur l’horreur du monde et ce besoin de perfection me bouleverse à chaque fois. Je vois des gens inquiets et désorientés à la recherche d’une lumière dehors, là quelque part, incarnée dans une personne, une religion, une idéologie, qui viendrait prendre en charge la vie entière et qui donnerait enfin un sens à ce foutu bordel inexplicable. Toujours la même affliction sur l’imperfection du monde, toujours cette attente après quelque chose de grandiose et d’immuable, un paradis définitif. Puis nous finissons par désespérer, car l’ignominie semble se perpétuer à jamais.

Quand même étonnant de constater que jamais nous ne pensons à chercher une solution en nous-mêmes. Autrement dit, comment prétendre changer quoique ce soit pour le mieux à l’extérieur alors qu’en soi il n’y a que peur, agressivité, envie d’en découdre avec l’autre, ressentiment et j’en passe? Peut-être serait-il temps de commencer à réparer ce monde fissuré de partout qui existe bel et bien en nous. Et retrouver une sorte de paix ou à tout le moins d’accalmie. Non, non et non, qu’on nous dit, nous sommes victimes, et puis à quoi bon!       

Est-il si inconcevable d’aimer le devenir, le changement et l’imperfection des choses? « Nous sommes en permanence nécessaires à la création quotidienne du monde. Nous ne sommes jamais les gardiens d’un accompli, mais toujours les cocréateurs d’un devenir », nous rappelle Christiane Singer.

Ce n’est pas juste un détail. Il y a de l’ouvrage qui nous attend…

« Et soudain la voix à mon oreille : Et qu’attends-tu pour devenir celui que tu attends? » C. Singer


3 juin 2012

Christiane Singer


Quelques citations du magnifique ouvrage de l’auteur Christiane Singer : « Où cours-tu? Ne sais-tu pas que le ciel est en toi? »


* L’écho du logion 77 de saint-Thomas : « Je suis partout. Quand tu vas pour couper du bois, je suis dans le bois. Quand tu soulèves la pierre, je suis la pierre… » Non pas : je suis le bois, je suis la pierre, mais chaque fois que tu es là, vraiment là, absorbé dans la rencontre du monde crée, alors je suis là! Là où tu es, dans la présence aigüe, je suis aussi. Être là! Le secret. Il n’y a rien d’autre. Il n’est pas d’autre chemin pour sortir des léthargies nauséabondes, des demi-sommeils, des commentaires sans fin, que de naître enfin à ce qui est.

* Dans tous les lieux habités par la souffrance se trouvent aussi les gués, les seuils de passage, les intenses nœuds de mystère. Ces zones tant redoutées recèlent pourtant le secret de notre être au monde, ou comme l’exprime la pensée mythologique : là où se tiennent tapis les dragons sont dissimulés les trésors.
Or notre société contemporaine n’a qu’un but : éradiquer à tout prix de nos existences ces zones incontrôlables—zones de brouillards, de gestation, zones d’ombre—et d’instaurer partout où elle peut le contrôle et la surveillance.
En refusant la nuit, comme le déplorait le poète Novalis, notre imaginaire collectif livre une guerre à mort contre le réel et provoque la montée de tout ce qu’il voulait éviter : la peur, le désespoir, la violence déchaînée, la recrudescence de l’irrationnel.

* La vie ne se révèle qu’à ceux dont les sens sont vigilants et qui avancent, félins tendus, vers le moindre signal.

* « Tu ne sais pas à quel point tu ne sais pas ce que tu ne sais pas » (Rabbi Nahwan)

* La vie n’a pas de sens, ni sens interdit, ni sens obligatoire. Et si elle n’a pas de sens, c’est qu’elle va dans tous les sens et déborde de sens, inonde tout. Elle fait mal aussi longtemps qu’on veut lui imposer un sens, la tordre dans une direction ou dans une autre. Si elle n’a pas de sens, c’est qu’elle est le sens.

* Le monde menace de tomber à en agonie si nous ne réveillons pas en nous cette faculté de louange. C’est l’intensité qui manque le plus à l’homme d’aujourd’hui. Où est en nous le désir, l’ardeur? Où est cet amour qui tient éveillé? Ce n’est pas l’ascèse, disait Hrabia, qui fait que nous traversons la nuit sans dormir, c’est l’amour qui tient éveillés. Tous ces êtres autour de nous qui se plaignent d’un manque d’énergie oublient la ferveur.

* Le miracle de l’amour, c’est d’être debout dans la nuit, plein de silence dans le fracas de l’insignifiance, plein de louanges au milieu de la haine.