26 avril 2012

Le "génie du moment"


À l’instar de Jean-François Vézina qui nous explique si bien l’idée dans son dernier livre Danser avec le chaos, je crois fortement en l’existence d’une sorte de génie qui s’exprime à certain moment, en certain lieu, d'une manière inattendue, lorsque notre présence et notre attitude atteint la tonalité requise sans rien désirer de précis. Vézina parle d’une conversation et d’une danse avec cette « autre chose » qui apparaît sous différents visages devant nous.

J’ai à côté de moi, sur mon bureau, des cahiers de notes débordants d’idées tous plus subtiles les unes que les autres. Je les regarde avec tendresse, je les chouchoute, elles me séduisent. Elles m’incitent évidemment à les développer et les approfondir. Je m’assois devant mon ordinateur, juste pour cela, les voir renaître à travers un texte en les élaborant, les triturant d’un bord et d’autre pour en arriver à un produit final brillant dans toute sa gloire.

Mais ça ne fonctionne pas. Rien ne sort. La carapace de la raison résiste fort bien à mes désirs. Je joue à un petit jeu de cartes sur mon écran, dans l’attente d’un plus grand jeu, plus noble il va sans dire. J’oublie mes idées de génie puis l’imagination s’emballe d’elle-même. Un feu nourri reprend. Les tirs viennent de partout. J’arrête le divertissement pour rehausser la barre des échanges avec mon égo. Je veux. Je veux tellement, mais le blocage reprend, le mauvais sort s’acharne.

Je me lève de ma chaise et m’en vais marcher. Ou lire. Ou occuper mes dix doigts à une tâche importante. Tout est bon.

Les belles, les grandes idées sont légion, les miennes incluses. Admettre qu’elles sont proprement inutiles relève du martyr. Que des mots, que des mots…

Ce qui jaillit de soi a besoin de réflexion, d’une longue méditation, d’un laisser-aller puis d’un rejaillissement au moment opportun. C’est ce moment opportun qui nous échappe, car il est relié à l’histoire du monde, à notre récit personnel, à l’aventure de notre existence, à l’inattendu, au lien profond que nous partageons avec l’autre et même l’univers.

Le moment opportun, le « génie du moment » dont je fais mention plus haut, apparaît enveloppé dans de nombreux déguisements. Il sert à dénouer un problème, à apporter un éclaircissement. Il met en branle une compréhension du mystère de notre existence et de la relation que nous entretenons avec la vie entière. Ce lien, cette relation nous pouvons le nommer amour, si nous voulons. Comprendre son ampleur demeure primordial. C’est pour nous aider dans ce long cheminement que des moments singuliers surgissent à point nommé. Ce peut être une rencontre avec un inconnu, une lecture, un rêve, une expérience pénible, une maladie. Tout est bon. Il se produit un décrochage de l’écoulement habituel des choses. Et du déplacement de notre point d’attention surgit alors une lueur de conscience nouvelle, une compréhension aiguë ressentie dans notre corps en un lieu autrement plus clair et précis que la tête. C’est une manifestation qui ne peut être expliquée qu’en nos propres mots, images ou créations. Elle devient une réalisation.  

Il y a quelques mois, j’étais assis au salon pour écouter un nouveau disque acheté en journée. Trompette, bandonéon et voix corses. Le titre : « Mistico Mediterraneo ». Je suis subjugué et emporté dès la première écoute. Une explosion se fait. Mon attention se déplace alors vingt-cinq ans plus tôt alors que je vis un moment très difficile, sur le fil du rasoir. Une porte s’entrouvre, je pénètre et découvre pour la première fois le sens profond de l’expérience. Elle touche à ce qu’il y a de plus universel chez l’humain. Elle a trait à l’amour entre deux êtres, elle a trait à l’abandon dans une direction qui oblige, elle a trait à notre propre survie et à la responsabilité qui en découle. Je n’entrerai pas dans les détails. Une chose est certaine, à l’époque la pilule fut très difficile à avaler. La leçon comprise en totalité seulement plusieurs années plus tard durant l’écoute de cette musique totalement atypique est celle-ci : il n’y a pas plus têtus que nous-mêmes, plus fermés, rétifs et hérissés et si, en désespoir de cause, après avoir tout essayé et alors que nous croyons avoir tout perdu nous demandons ou invoquons la protection d’une force, quelle qu’elle soit, il nous faut d’abord accepter qu’elle nous protège de nous-mêmes.

Le « génie du moment » à travers cette musique. Inattendu comme de fait.
  


20 avril 2012

Les mots (8)


Balle :
Je suis un enfant de la balle, né dans un monde de comédie et de jeux où tout ce qui était rond je m’amusais à le lancer, le botter, le frapper. Plus tard, j’ai appris à jongler, et la balle encore m’a entraîné dans un monde aussi inutile que merveilleux. Je me suis moi-même arrondi depuis lors. J’ai pris la forme, je m’élance et roule. La balle demeure difficilement en place. La balle est l’âme de l’homme.  

Chat :
Mystère de poil en faïence de paresse de libre présence de sommeil de jeux de folie d’humeur en recherche de proies de caresses de tournures d’expressions soudaines d’étonnements propres et uniques incompréhensibles sauvage de gouttières de queue perché tout là-haut. Le chat nous fait une magnifique démonstration de l’art de s’approcher ou de se méfier de l’homme et de sa raison.

Bouche :
Tout vient de là. J’essaie d’imaginer un monde sans bouche où nous pourrions nous nourrir malgré tout. Impossible. Par cet orifice entre l’essentiel d’une continuité à la vie, par cet orifice sort l’essence de ce que nous sommes et donnons à la vie. La bouche est un égout. La bouche est une fontaine. De la bouche émane le bruit, de la bouche l’esprit s’illumine.  

Épice :
Impression subtile de délice. Comme une note de bon goût dans la symphonie que nous cuisinons. Rehausse, transforme. Épice se conjugue avec l’art, la mesure, la minutie. Épice nous transporte sur sa route de la connaissance de l’autre.

Jardin :
Dans un jardin pousse l’extraordinaire, une vie miraculeuse émergeant de rien. Ce rien, c’est la terre. C’est le petit monde des lutins et des gnomes, des fleurs volantes et des fées clochettes qui nous désennuient des mécaniques peu subtiles qui envahissent notre territoire. Le jardin s’offre comme dernier rempart à la lenteur silencieuse du bonheur simple.

Voyage :
Balade du corps ou périple de l’âme? Forme notre être s’il raffermit notre doute. Les voyages nous dévoilent l’autre dans sa différence et parachève la démolition de notre indifférence. Nous entamons un voyage toujours comme un retour à soi : partir pour revenir autre.

19 avril 2012

« L’homme descend du songe »


Chaque jour je me sers de l’imaginaire et de la créativité pour agrémenter mon existence. Je précise : non pas fuir l’existence, mais l’enrichir. Non pas inventer de folles élucubrations et m’expédier corps et âme dans des histoires qui ne m’appartiennent pas, mais accepter la vie dans sa simple beauté par le regard que je lui porte. Non pas claironner et chanter mon mépris en inventant des formules de dédain et d’indignation, car elle est et demeure imparfaite la vie, mais l’embellir humblement.


18 avril 2012

Avoir raison


« Et moi, j’ai envie de donner des tas et des tas de coups de pied dans les dents de ce salopard de monde à la con jusqu’à ce qu’il comprenne enfin que de ne pas faire de mal aux gens, c’est dix millions de fois plus important qu’avoir raison! » 

David Mitchell, Le fond des forêts.


Le cancre las

Illustration d'Émilie Bédard sur un texte de Jacques Prévert
* Pour lire le texte, cliquez!
* Émilie est étudiante en graphisme à Rivière-du-Loup, Québec.

17 avril 2012

Sur le monticule


J’avais environ 10 ans. C’est le moment où on commence parfois à rêver ce dont on veut devenir plus tard, à l’âge adulte. Moi je voulais devenir chef d’orchestre ou lanceur de baseball. Ni l’un ni l’autre de ces rêves ne s’est concrétisé, à proprement parler. Diriger un ensemble musical, ça m’aurait plu, mais encore fallait-il que je connaisse la théorie, que j’étudie dans le domaine. Mon amour pour la musique ne s’est toutefois jamais altéré et il y a bien des nuits, en bordure du sommeil, où j’ai accouché, je ne sais comment, de symphonies grandioses alors que j’étais à la fois musique, orchestre et chef reliés par des accords jaillissants spontanément de mon esprit.

Je fais ce que je peux.  

Lanceur, par contre, je le devins petit à petit, mais dans un sens plutôt inattendu. Métaphoriquement, si je peux dire. Je suis devenu lanceur de mots et, en toute occasion, j’essaie d’atteindre la cible proposée.

J’ai toujours adoré lancer. Combien de fois je me suis exercé avec des amis, mes enfants, depuis mon plus jeune âge et jusqu’encore aujourd’hui. C’est la cible à atteindre qui m’intéresse, c’est de lancer avec art, avec précision, maitrise et souplesse. Je sais, tout ça s’apparente au jeu, mais avec une exigence d’attention telle que ce petit jeu a quand même fini par s’ancrer en moi et se transformer jusqu’à devenir un art de vivre et de m’exprimer par l’écriture, par des mots.

Le plus difficile demeure de livrer ce que nous sommes, dans notre tête, dans notre cœur, de le faire avec clarté et précision et de toucher l’autre qui nous écoute ou nous lit. Et si ce que nous racontons est important à nos yeux et nous tient à cœur, la responsabilité nous incombe de l’exécuter sans qu’il y ait décalage entre notre être et notre dire.

C’est tout l’art de s’installer sur le monticule, de lancer et d’atteindre la cible avec grâce et facilité, c'est-à-dire de réaliser son intention.

Il n’y a pas qu’une façon de lancer la balle au baseball. La plus utilisée, la balle rapide et droite, est celle que le lanceur apprend à maîtriser en tout premier lieu. Vient ensuite le long apprentissage de nuances, donc de la technique, de l’art même de lancer une balle, pas juste la garrocher. Nous passons alors à un autre registre, celui de la variété, du changement de vitesse, de la capacité à atteindre les coins du marbre avec précisions. Après la balle droite, viennent ensuite la courbe, la balle lente, la balle fronde, la glissante et même la balle papillon. 

Il va sans dire que cet art demande beaucoup de pratique. Il va sans dire aussi qu’il est souhaitable, en cours de route, de nous référer à un instructeur ou un maître qui connaît bien la manière de faire ainsi que les difficultés à affronter. Ne serait-ce que pour nous rassurer, nous encourager, mais aussi pour ne pas que nous nous blessions. L’inflammation au bras, coude et épaule est possible. Il faut savoir nous contenir, doser les efforts et même nous arrêter en temps voulu pour ne rien gâcher.

Arrive le moment de grimper sur le monticule et de jouer la partie. C’est ton envie le plus cher, ton désir, ta passion. Tu ne peux plus te défiler, essayer d’impressionner par des artifices, un style alambiqué ou faire semblant de maîtriser ton savoir. Il te faut suivre certaines règles et exigences. Tu dois lancer et atteindre la cible, point, il y a un arbitre pour te juger, le frappeur est redoutable. Arrivé à maturité, tu ne dois compter que sur ton expérience, ton répertoire, ton savoir, ta mesure et ta créativité. C’est aussi une épreuve d’endurance où tu dois économiser ton énergie.

Est-ce que le jeu en vaut la chandelle? Je ne peux répondre que pour moi-même. J’adore lancer, j’adore le jeu des mots qui s’envolent et atteignent leur cible en faisant le tour d’une question, avec les images et les nuances appropriées. Et surtout, je tiens à m’exprimer avec mes propres mots, dans un langage qui m’appartient et que je maitrise. Ces mots choisis avec applications, je les veux représentant ce qu’il y a de plus près ma pensée, ce que je suis et ressens. Je me méfie de la brochette d’expressions exotiques, convenues et issues d’un autre temps et d’un autre monde que le mien. Sur le monticule, je ne veux pas que répéter servilement et sans réfléchir ce que d’autres ont déjà accompli ou encore redonner la balle à mon instructeur, car je me sens incapable d’accomplir le travail qui m’est imparti ou de faire un tir difficile.

Rien ne m’oblige à grimper sur le monticule, à prendre ma motion et à lancer avec soin et adresse. Si je le fais, c’est par amour du jeu ainsi que du défi à relever pour atteindre une cible parfois bien petite ou même recouverte d’une fine poussière qui la dissimule presque complètement.

À décocher des tirs je me sens redevenir le gamin de dix ans que j’étais et, plus important encore, je sais que je réalise le rêve dont ce même gamin percevait l’urgence ou la passion d’accomplir.


13 avril 2012

Approfondir


« Ne crois rien parce qu'on t'aura montré le témoignage écrit de quelque sage ancien.
Ne crois rien sur l'autorité des maîtres ou des prêtres.
Mais ce qui s'accordera avec ton expérience et après une étude approfondie satisfera ta raison et tendra vers ton bien,
cela tu pourras l'accepter comme vrai et y conformer ta vie. »
Bouddha


12 avril 2012

Serge Bouchard, l'anthropos.


Il est des êtres remarquables qui ne sortent pas du lot. Ils se foutent d’ailleurs de leur anonymat ou de l’intérêt que leur porte de temps à autre le grand public. Ils sont fidèles à eux-mêmes et continuent à travailler, à s’exprimer avec une sorte de désintéressement un peu bon enfant, si je peux dire.

J’ai entre les mains le dernier livre de Serge Bouchard. J’avoue avoir un faible fort appuyé pour cet anthropologue. S’il en est un dont il faudrait écouter la voix qui ne crie pas, qui ne s’agite pas à tout propos, qui ne répand pas ses tripes devant nous dans le seul but d’attirer l’attention, c’est bien lui. Un vrai grand homme humble, un peu sage et fou, dont on n’osera jamais pointer un doigt accusateur, car il est ce qu’il est, c’est à prendre ou à laisser.

Même son nom laisse à désirer. On ne peut pas être reconnu avec un nom de même. Une vedette endosse fièrement son nom, un nom qui porte, qui transcende les autres. Un nom comme Sidney Crosby (avec deux y) ne pourrait pas être médiocre au hockey. Robert Charlebois, Luc De Larochellière, Bernard Arcand, me semble que ça sonne bien, c’est chouette à entendre et commande un certain respect pour leur domaine respectif. Mais Bouchard! Et Serge!

Je suis sûr qu’il est insensible à cette futilité. Et moi aussi, évidemment. Par contre, ce qu’il nous dit, ce qu’il nous raconte, car c’est un fieffé conteur, là c’est une autre paire de manches. Inversement proportionnel à la banalité de son nom.

Comment, en effet, ne pas souscrire à ces quelques morceaux choisis puisés de son dernier recueil de texte : C’était au temps des mammouths laineux.

« Cela a existé, un temps passé où rien ne se passait. Nous avons cheminé quand même à travers nos propres miroirs. Dans notre monde où l’imagerie était faible, l’imaginaire était puissant. Je me revois jeune, je revois le grand ciel bleu au-delà des réservoirs d’essence de la Shell, je me souviens de mon amour des orages et du vent, de mon amour des chiens, de la vie et de l’hiver. Et nous pensions alors que nos mains étaient faites pour prendre, que nos jambes étaient faites pour courir, que nos bouches étaient faites pour parler. »

« Quand la mort se rapproche de nous, c’est comme une porte qui s’ouvre. Impossible de décrire le courant d’air. La mort nous (impose le) silence en effet, elle fait le calme inquiétant. La mort ne se cache pas, mais elle conserve son secret. Nous la voyons depuis toujours mais nous n’en avons jamais rien su. La mort est tellement ordinaire. (…) Une chose est sûre : mourir nous libère de la mort. Ce qui n’est pas rien. »

« Pied de Corbeau, le malheureux maître pied-noir, est réputé pour avoir dit au moment de mourir : la vie n’est pas plus que la brume du souffle du bison, petit nuage fragile qui flotte un instant dans l’air glacial du petit matin, elle n’est pas plus que l’éclair minuscule de la luciole dans la nuit. Mais connais-tu quelque chose de plus beau qu’une luciole dans la nuit noire, qu’une silhouette de bison à l’aube dans la prairie? La vie est tout ce que nous avons. Il faut savoir vivre jusqu’à sa propre mort, tout vivre, ses victoires comme ses défaites, ses élans heureux comme ses élans malheureux. »

10 avril 2012

Fatalement


« Tout ce que nous n’aurons pas ramené à la conscience se manifestera dans notre vie comme destin ou fatalité. »

C-G Jung

4 avril 2012

Comme si...


«Travaille comme si tu n'avais pas besoin d'argent, aime comme si tu n'avais jamais été blessé et danse comme si personne ne te regardait.» 

 Proverbe irlandais

Notre-Drame en Sept Douleurs


1) Naissance : De la lumière crue, sans regard à mes pauvres yeux. Désorientation totale. Je peux le confirmer puisqu’on me vira à l’envers comme un vulgaire poulet prêt à l’emballage. Bienvenue chez toi! Et comme de raison, on s’est attendri puis extasié devant mes cris. Moi, mes poumons me brûlaient, c’était le sens exact de mes pleurs. Drôle d’endroit. Blanc crémeux, odeur de formol.
  
2) École : Ne pas bouger. Écouter. Prendre son crayon. Ne pas bouger, écouter, prendre son crayon. Silence! L’enseignante a dix fois mon âge, dix fois mon poids et parle comme si elle devait absolument me faire peur. C’est sombre. Où sont mes amis, ma famille? Tout n’est que poussière, bois humide et vieilles chaises qui craquent. J’ai envie de pleurer, je me retiens. Je pourrais être la source du nouveau plus grand fleuve du continent.

3) Adolescence : Je ressemble à un extraterrestre. J’apprends à courir de plus en plus vite pour fuir mon ombre. Et les filles, les filles… Je ne parlerai pas des filles, je ne peux pas, je n’y comprends rien. Il reste le sport, les amis et quoi d’autre? Mes parents? La vie est un long fil ténu. Il y a les obligations, les études, suivre le moule, suivre le moule…

4) Mise en orbite : Je tourne autour du monde, de ses nécessités, son labeur, ses cris et ses espoirs. Le grand système m’est étranger. Mais qu'est-ce qui se passe? Le monde est une poubelle, mais je ne me résigne pas, je dois créer un sens à tout ce bordel. Fin des études, premier emploi, hors du cocon. La vie, la vie! C’est pénible et je ne comprends rien. Et toutes ces brutes qui ne peuvent te sentir et qui cherchent à t’aplatir!

5) Mi-temps : Tout va toujours trop vite. Je me bats avec le temps qui se compresse, avec les responsabilités qui m’étouffent. Je voudrais tant fuir et redécouvrir cette zone de l’enfance où le rêve est un royaume toujours vivant. Ralentir, ça urge! La pression m’étrangle et l’air vicié des bureaux me monte à la tête. J’envie l’existence des grenouilles et des libellules en bordure de grands lacs sauvages.

6) Vieillesse : Quoi donc? Tu ne pensais pas t’en tirer tout de même! J’ai le chien qui dort et qui cherche son énergie. J’ai les sens dans la brume et de la souffrance où ça craque. Perte de contrôle, perte de mémoire, perte d’acuité, perte de jouissance. Vieillir, c’est perdre.

7) Mort : Peur de l’inconnu et du grand moins définitif. J’effleure le lit de la mort où se couche une absence d’être. Comment s’assurer d’une suite à tout ça, la vie, puisqu’on m’exhorte de ne pas partir? Il fait sombre dans ma tête et le drame s’achève. Tout est clinique, prévisible, immobilité et sècheresse. La flamme s’éteint, s’éteint le temps, le beau le laid le lys la mer le ciel les chants du monde et le choix de continuer dans l’infini des grands brouillards d’automnes.

2 avril 2012

Homme-oiseau


L’homme descend de l’oiseau. Inconcevable? Non, c’est juste qu’en cours de route, en vieillissant, nous oublions cette racine singulière qui nous définit si bien pourtant.

Voyez le tout jeune enfant. Quelques mois après la naissance il se met à gazouiller et prendre plaisir à exprimer des sons de sa bouche. Les parents lui répondent, souvent de la même manière, retrouvant l’espace de quelques instants ce plaisir perdu dont ils ont l’intuition qu’il surgit de temps éloignés alors qu’ils habitaient les grandes forêts d’une terre étrangère.

Je regardais l’autre jour un jeune enfant tout juste en âge de marcher. Il avançait en clopinant et battait des bras à l’exemple des oiseaux pour se donner de l’air et ne pas tomber.

Mon hypothèse est celle-ci. Le jeune enfant prend d’abord ses bras pour des ailes. Il veut se soulever, combattre l’attraction. Il se sent comme un oiseau, il ne réfléchit pas. Il finit tout de même par se retrouver debout, ce qui, déjà, n’est pas une mince tâche. Il espère plus quand même. Son instinct le pousse à s’envoler. Alors il se met à marcher et à foncer, se donner un élan pour aller beaucoup plus loin et plus haut. Mais ça ne fonctionne pas ainsi...

Le petit de l’homme n’est pas déçu. Son instinct l’a aidé à combattre la résistance toute naturelle de la gravité. Inconscient de sa nature propre, il en arrivera tout même à courir, sauter et grimper. Ce n’est pas rien quand même.

Mais l’homme n’est pas qu’instinct.

Il a ce désir d’envol qui s'accroche toujours à lui.

Il se contente en fabriquant avions et fusées. Mais il veut plus.

Il y parvient par le rêve. Est-ce suffisant? Quelque chose le tire plus haut, en toute conscience. Une obsession?

La nature propre de l’homme est de voler en dépit de ses responsabilités des plus terre-à-terre.