"L’obligation de subir nous donne le droit de savoir."
Jean Rostand
Nous étions trois jeunes étudiants de 17 ans partis sur le pouce à l’aventure après la fin des classes au printemps. Direction Saint-Benoit-du-lac et un hébergement au monastère des bénédictins. Saturé de cours, d’apprentissages et d’examens, je m’étais fait à l’idée que le changement et le silence devenaient indispensables pour venir à bout de mon mal de crâne...
Nous y sommes restés cinq jours. Cinq jours à partager les repas avec les moines en silence, à dormir dans de minuscules cellules. Cinq jours à ne rien faire, à marcher, explorer l’entourage.
Un soir, il y a la pleine lune.
Je suis assis par terre et contemple sa lumière, sa rondeur, l’observe en pensant à rien. Mes amis sont debout, en train, plutôt, de discuter sur sa présence. Je n’écoute pas, mais leurs paroles finissent par me déranger. Je n’arrive pas à croire qu’ils ont tant à dire : sa distance avec la terre, le temps pris par sa lumière pour parvenir jusqu’à nous, sa surface cachée, etc. Je me retiens quelques minutes puis je leur lance : « Laissez donc la lune tranquille! » Ils pouffent de rire. Je réalise alors tout l’écart entre nous. Comme si nous étions dans deux mondes séparés qui ne peuvent se rejoindre.
Depuis lors, j’ai toujours douté du monde des explications. Je pense à Serge Bouchard qui nous dit que pour l’homme moderne : « (…) tout s’explique mais rien ne fait sens. » Je pense à tous ces mots, à toutes ces paroles que nous entendons autour de nous, ces jugements, interprétations qui ne demandent pas mieux que de nous éclairer mais qui ont l’effet contraire. Trop d’explications, trop d’informations qui se contredisent et qui finissent par nous geler…
Je n’ai qu’un geste à proposer si on me demande ce que je pense de tel ou tel chose, je n’ai qu’un geste à proposer si une interprétation du monde, si une recherche de la vérité nous obsède.
L’index collé sur des lèvres closes...
À l’exemple des oiseaux, les couleurs et formes variées des champignons sont remarquables. C’est pourquoi nous les avons baptisés de noms si poétiques, à mon avis. Il suffit de prendre une liste et de la lire pour s’en convaincre, et je ne parle pas de leurs noms latins réservés aux scientifiques, il va sans dire.
La période d’aout et septembre est propice à des découvertes fabuleuses. Suffit de mettre les pieds en forêt et d’ouvrir nos yeux bien grands pour que la magie opère. Et lorsque je parle de magie, le mot n’est pas trop fort. Quand je découvre un champignon, j’ai souvent l’impression qu’une existence farfelue est apparue hors du grand chapeau de la nature uniquement pour me séduire et pour me permettre de retrouver des yeux d’enfant ébahi.
Cette fois-ci, j’étais au bord d’un ruisseau en train de contempler les reflets des arbres dans son eau. Je tourne mon regard et une tache orange et blanche m’apparaît alors subitement à un endroit inattendu, presque sous la terre, comme dans une grotte minuscule où un ermite contemplatif se serait réfugié pour méditer.
Les photos témoignent de ce magnifique champignon, un bolet bicolore selon les livres, mais je n’en suis pas certain. Peu importe d’ailleurs. C’est son apparition telle une gifle en plein visage qui m’a troublé.
C’est ce genre de beauté que je trouve redoutable. Elle me fait plier les genoux et me rend complètement gaga.
Tout est disparu par la suite.
Je ne sais comment je me suis retrouvé chez moi…
Un proverbe de la sagesse orientale nous dit ceci : « Lorsque tu es pressé, fais un détour! »
Je ne sais pas si je le comprends bien ce proverbe. Est-ce qu’il veut dire de ne pas nous précipiter alors que la colère ou l’impatience nous incite fortement à pratiquer le contraire? Je le pense…
Maintes fois, il m’est arrivé de ralentir et même de stopper volontairement le cours des choses afin d’observer ou de contempler cette part de réalité qui s’affichait dans ma vie. Maintes fois, je crois y avoir gagné au change.
Ralentir, réduire son train de vie, s’arrêter pour réfléchir et méditer, moins s’encombrer, rechercher le silence, se simplifier la vie, tout ça n’est pas très vendeur, je le reconnais. D'ailleurs, tout ne nous incite-t-il pas à pratiquer le contraire, à consommer par exemple le plus possible d’objets désirables en un moindre temps afin, dit-on, de nous tenir à jour, d’être à la hauteur face aux autres, face à
Chaque jour je m’efforce de ralentir, non pas pour tomber dans une passive oisiveté à l’abri du stress ravageur, mais pour observer davantage et mieux, affiner ma perception, découvrir des liens précieux entre les êtres, entre les événements et ainsi ne plus juger ou sauter sur des conclusions rapides.
Chaque jour je marche pour faire le plein de sens au lieu de courir à droite et à gauche à la recherche de réconforts factices à un supposé mal de vivre.
Je ne saurais dire tout le bien de la marche, seul, en silence, loin de tout bavardage. Selon les Amérindiens, notre vie entière, chaque péripétie qui la compose serait inscrite à l’arrière de nos jambes et lorsque nous marchons il y a tout un processus de récapitulation qui se met en branle. Cette récapitulation est un inventaire des événements marquants de notre vie qui puisent en nous une énergie précieuse et dont il est impératif de repasser en mémoire, de revivre afin qu’ils perdent leur pouvoir d’attraction et nous empêche de voir la réalité telle qu’elle se présente. Une sorte de libération de notre passé…
Marcher nous aide à ralentir et apprivoiser un nouveau rythme. Ce rythme est une réconciliation avec la terre et notre corps qui sont le siège d’une manière de vivre inscrite dans le présent.
Ce présent qui seul existe.
Un très beau travail de la part de Jordi Savall, le maître de la musique ancienne.
Trois disques à l’intérieur d’un livre traduit en sept langues ayant pour titre : « Le royaume oublié (La tragédie cathare) ».
Dans un hommage au pays d'oc, Savall nous dit ceci : « Au-delà des mythes et des légendes, la destruction de la mémoire de cette formidable civilisation qui était celle du pais d’oc, devenu alors un véritable royaume oublié, la terrible tragédie des cathares ou « bons hommes» et le témoignage qu’ils ont donné de leur foi, méritent tout notre respect et tout notre effort de mémoire historique. Huit siècles ont passé, et le souvenir de cette croisade contre les Albigeois ne s’est pas effacé. Il éveille encore le chagrin et
Un texte du médecin Marc Zaffran qui tient un blogue sur le site passeportsanté.net.
« À l’occasion d’un de mes premiers stages hospitaliers, j’ai été affecté dans un service de long séjour. J'étais un simple étudiant en médecine. Le résident nous accueille et, négligemment, nous attribue des chambres, nous dit qu’il faut aller examiner les « pensionnaires » et reprendre complètement leur dossier clinique. Il me regarde et, un sourire en coin, me désigne la chambre du fond. C’est une pièce où sont allongées cinq femmes très âgées. Quand j’entre, elles ne bougent pas. Elles sont prostrées, incapables de faire le moindre geste et de dire la moindre chose. Sauf une, à qui je tourne le dos car son lit est installé derrière
Je m’assieds. Elle me donne son nom, je farfouille parmi les dossiers qu’on m’a remis, je trouve le sien. Je sors mon stylo pour me mettre à écrire. « Et vous, comment vous appelez-vous? » Je bafouille, mais je finis par répondre. Elle sourit : « C’est mieux si je connais votre nom, vous ne croyez pas? »
Grâce à elle, à partir de ce jour, j’ai toujours dit qui j’étais, ce que je faisais, quelle était ma fonction, et j’ai veillé à porter des blouses sur lesquelles mon nom était écrit. Ce n'était pas, et de loin, la coutume en France dans les années 70.
Elle me désigne ses voisines de chambre : « Vous n’allez pas en tirer grand-chose, hélas. Celle-ci a perdu
Et tout était vrai. Elle était impotente et clouée au lit, mais elle avait toute sa tête, et elle n'était pas sourde. C’est grâce à elle que j’ai pu rédiger l’observation des quatre autres occupantes de la chambre.
Elle finit par me dire : « Et moi, vous allez bien m’examiner? » Je bafouille : « Bien sûr ». Elle me tend son bras, et je lui prends
Cette femme, l’une des toutes premières patientes dont j’ai été chargé, tient une place à part dans ma formation : elle s’est occupée de moi, elle m’a pris sous son aile. Elle m’a appris qu’une relation de soin est une relation à double sens.
C'est une relation de coopération, de partage, d'entraide.
Pour les médecins, parfois, les patients peuvent être des soignants. »
Une citation puisée chez Christopher Hitchens dans son livre très instructif : « Dieu n’est pas grand. Comment la religion empoisonne tout. » Je le recommande à tous ceux et celles qui s’intéressent à la chose…
« La valeur véritable d’un homme ne se détermine pas par sa possession, réelle ou supposée, de la Vérité, mais par son effort sincère pour atteindre
Gotthold Lessing, Anti-Goeze (1778).