26 août 2010

Absorption

Je n’hésite pas à dire que ce que j’ingère me façonne. D’où l’importance de bien manger, mais aussi d’absorber que ce qu’il faut de lecture, d’image, de musique et, par-dessus tout, de paroles des hommes.

Mais si le doute me prend, si en particulier ces paroles d’hommes me laissent perplexe, rien ne m’empêche cependant de n’absorber que leur silence...

Simplement vivant...

« Être simplement heureux d’être en vie, sentir le long de l’épine dorsale comme un frisson et une excitation au pur contact de l’air, n’est-ce pas la plus intense des prières, la plus sublime des actions de grâces, l’acte religieux par excellence? Notre corps vivant n’est-il pas le temple abritant la divinité? Que peut être celle-ci sinon la vie infinie apte à prendre toutes les formes? Ne sommes-nous pas partie intégrante de cette divinité? La seule foi, la seule pratique, le seul culte auxquels nous soyons tenus ne consistent-ils pas à être le plus vivant? »

Pierre Bertrand, Pour l'amour du monde, Liber.

23 août 2010

"Courir, c'est tomber"


Loin des distractions sophistiquées d’aujourd’hui avec ses ordinateurs, X box, I pod et autres technos, mon enfance des années soixante se résumait surtout en des jeux physiques ou "de table ". Hockey, balle, ballon et jeux de cartes ou de dés, par exemple, comblaient nos temps libres et agrémentaient nos vacances d’été et d’hiver.
Je me souviens de mes trois verbes d’action préférés : courir, sauter, grimper. Surtout courir. J’avais les jambes, si je peux dire, et je m’en servais constamment pour m’élancer et voler d’un endroit à l’autre, car il n’y avait pas de temps à perdre, le jeu étant affaire sérieuse.

Courir donc. Toujours plus vite et sans effort, en poussant la machine juste pour voir, juste pour jouir de la résistance de la terre. J’ai encore ce goût dans les jambes et il m’arrive de pousser une petite pointe de vitesse de temps en temps pour éprouver ma mécanique, même si l’usure a pris place de manière irréversible.

Marcher est naturel. Courir, je ne sais pas. Ou je ne sais plus…

J’ai cet article de la revue L’Actualité (septembre 2010) devant moi qui me signale que « courir, c’est tomber ». On parle de Nicholas Romanov, docteur ès course, et auteur de la méthode Pose décrivant la technique qu’il a mise au point. Courir, selon lui, n’est pas naturel. C’est une technique à apprendre pour ne pas se blesser et taxer inutilement notre structure squelettique.

« Le principe est simple, peut-on lire. Le corps bien droit, en équilibre sur un avant-pied, le genou légèrement plié, on se laisse tomber vers l’avant (la position Pose). L’autre pied se pose d’instinct sur le sol, rattrapant le corps sous son centre de gravité. Mais avant de mettre le deuxième pied à terre, on doit soulever le premier. Il faut se remettre le plus rapidement possible dans la position Pose, car c’est à partir d’elle que l’on tombe. »

J’arrive de tester la méthode, du moins ce que j’en ai compris. Et vous savez quoi? Ça marche! À un moment donné, je voyais mon ombre devant moi et elle semblait très à l’aise, ce que je n’ai pas manqué de lui souligner… Elle tombait, se rattrapait, tombait, se rattrapait, chaque fois sur l'avant du pied et non le talon.

Vous savez quoi aussi? Je sens une vérité. J’ai l’intuition qu’une transposition peut s’appliquer à la vie qui, nous le savons tous, ressemble souvent à une course effrénée…

Tomber (laisser tomber) puis se rattraper et encore tomber sur le bout des pieds, pour mieux repartir avec moins d’effort, plus de souplesse, sans se blesser inutilement.

Genre.

19 août 2010

Histoire de poule

Chronique jouissive de Foglia dans la Presse du 19 aout. On a beau penser qu’il caquette parfois, il n’en demeure pas moins que ses propos et images sont le plus souvent comme des œufs d’or qui servent à enrichir notre réflexion.

Voici ce qu’il dit du débat sur l’opportunité d’élever des poules ou non dans la ville de Montréal. Il a fait un petit pas en arrière, nous affirme-t-il, pour mieux réfléchir et s’élever au-dessus du poulailler, sans tomber dans l’exaltation.

« Je sens les gens un peu déçus. Pourquoi il ne dit rien sur la poule, M. Foglia? Parce qu'il ré-flé-chit, voilà pourquoi. Il est entré en lui-même pour aller y chercher le meilleur. Comme la poule, d'ailleurs. Vous avez déjà vu une poule pondre un oeuf? Cette bestiole incroyablement agitée de tics voilà soudain qu'elle s'immobilise, on la dirait absente au monde : elle est entrée en elle-même pour aller y chercher le meilleur, cot, cot, cot, un oeuf.

Pareil pour moi. Cot, cot, une chronique. Des milliers de chroniques, toujours le meilleur de moi-même. Et vous, le tenant pour acquis : bof, un autre oeuf. Je n'en suis même pas triste, c'est comme ça, c'est tout. La poule ne fait pas ses oeufs pour que vous en fassiez une omelette ou des oeufs à la neige, il est seulement dans sa nature d'aller chercher le meilleur d'elle-même. »

C.Q.F.D.

12 août 2010

Le jeu de la vie


À chaque fin de parties, c’était le même rituel. On analysait les coups joués, les positions souvent compliquées qui en résultaient, et le verdict n’attendait jamais, tombait dru : « J’étais à un coup du gain! Si j’avais joué mon cavalier ici, tu étais fini, N I ni; je n’ai pas vu ce coup de dame, sinon je gagnais assuré; j’ai failli, j’ai passé proche, etc., etc. » Le résultat final du tournoi apportait aussi sa panoplie d’excuses pour une piètre performance : « J’ai un rhume depuis trois jours, j’ai manqué le bus ce matin, mal dormi à cause du petit, etc. »

Le jeu, faut-il le préciser, se joue toujours dans le présent, à l’intérieur du monde réel, objectif et concret. Les échecs, une fois la partie en marche, font fi d’un idéal abstrait et désincarné. Les pièces doivent bouger dans un temps limité qui est le même pour les deux adversaires. Le mouvement des pièces est œuvre de l’esprit humain, une création pure et simple.

Tu peux toujours fantasmer la partie en cours, t’imaginer vainqueur, croire en tes immenses possibilités, bomber le torse, te percevoir comme un génie, l’œuvre reste à faire, sa réalisation demeure problématique jusqu’à la toute fin. Tu ne peux tricher, faire semblant ou « menacer de comprendre la position », la réalité sur le « terrain » te rattrapera toujours. Viendra aussi la peur, la fatigue, le dérangement extérieur, peut-être même la faim, la hâte d’en finir et de porter le coup fatal. La partie demeure toujours au plus près de soi, enfermée dans tes traits personnels, jamais dans un idéal qui ne connaît pas l’imperfection. L’esprit du joueur, à l’intérieur et dans les limites de son expérience, de son imagination, de sa mémoire, de ses émotions, doit camper dans le présent, s’obliger à une passion et une intensité du présent.

À chaque tournoi d’échecs dont j’ai participé, je n’ai jamais manqué d’observer attentivement les joueurs présents. L’exaltation et la tension étaient toujours palpables et faisaient jaillir spontanément les traits de comportement les plus variés. Je voyais des humains mis à nu, car dans l’obligation de se mouvoir dans le présent avec son lot d’imperfection, de fragilité et de hantise. Chaque joueur se dévoilait. Et j’en ai vu de toutes les couleurs…

Toutes les parties que j’ai jouées émanaient du plus intime de ma chair, chaque coup se méritait, l’œuvre se faisait dans l’imperfection, malgré mes incapacités, en m’abandonnant au sort des problèmes à résoudre après chaque coup de l’adversaire. Je m’en suis sorti avec plein de bleus, de défaites et de blessures, mais toujours avec la certitude d’avoir accomplis une tâche difficile qui demandait le meilleur de moi-même.

Je laisse le fin mot à Pierre Bertrand : « L’homme n’a pas le choix, il doit se dépasser, créer pour ne pas être écrasé, ne pas se laisser mourir. Créer est comme respirer pour quelqu’un qui étouffe. Créer est l’ultime tentative de faire reculer l’obstacle quand celui-ci s’abat sur notre corps et notre esprit. Il est la ligne d’oxygène qui permet à l’homme de continuer à nager dans l’océan de la réalité. Cette dureté, cette difficulté de vivre rend l’homme plus profond, plus vigilant, plus lucide. Ce qui le rend fou le rend sage. Mais cette sagesse est aussi un malentendu et un masque. Elle n’est que l’envers de la folie. Elle n’est que l’effort déployé par l’homme au-dessus de ses forces pour ne pas être emporté dans le grand flot livide de la folie et de la mélancolie. La joie doit être forte pour donner le change à la souffrance. Créer acquiert une terrible et merveilleuse nécessité, car il permet de vivre, d’effectuer une percée à travers ce qui opprime, de déplacer ce qui se fige et paralyse la vie. Créer ne se fait pas que dans l’écriture, mais dans la vie même qui distend le nœud, soulève le voile, déplace, même imperceptiblement, l’obstacle qui empêche d’avancer. »

Le cœur silencieux des choses, Liber, p 164

11 août 2010

Les trois fléaux

« Le monde est menacé par trois fléaux, trois épidémies : le nationalisme, le racisme et le fondamentalisme religieux.

Tous les trois ont la même caractéristique, un dénominateur commun : une irrationalité totale, agressive et toute-puissante. Impossible de pénétrer l’esprit de celui qui est frappé par l’une de ces calamités. Dans la tête, brûle un feu sacré auquel il est prêt à tout sacrifier. Toute tentative de discuter calmement est vouée à l’échec. Ce qui l’intéresse, c’est qu’on déclare l’approuver, qu’on reconnaisse son bon droit, qu’on lui apporte son concours. Sinon à ses yeux, on ne signifie rien, on n’existe pas. »

Ryszard Kapuscinski, Imperium, Plon.

9 août 2010

L'insaisissable vivant

Mes pensées, mes conversations, mon écriture regorgent de peut-être, sans doute, oui mais, je ne sais pas, possible. Je suis féru de nuances car un rien et tout m’échappe, change de couleur, de saveur, de profondeur. Le noir et le blanc s’éclipsent au profit d’un amalgame de tons divers et bigarrés.

Toutes ces nuances témoignent de la palette infinie du vivant en constant changement. J’aimerais bien d’ailleurs lui tordre le cou, ce vivant, pour qu’il arrête un peu de bouger. Pour bien l’observer, l’identifier et le décrire.C'est peine perdue…

Annie Dillard dans Pèlerinage à Tinker Creek s’étonne et se désole en décrivant les « tout vus, rien vu » qui émanent de ses déambulations : « Éclat d’un poisson, qui se dissout l’instant d’après devant mes yeux comme sel dans l’eau. Les cerfs donnent l’impression de monter tout droit au ciel; le plus éclatant des loriots s’efface dans le feuillage. » La nature révèle tout autant qu’elle dissimule, nous dit-elle.

Tout autour de moi le réel bouge, il s’enflamme dans une vive lumière puis disparaît dans l’ombre aspiré par je ne sais quelle force mystérieuse. Je veux demeurer en éveil, suivre le spectacle et son tourbillon d’énergie qui se disperse çà et là. Voir, voir vraiment. Mais en suis-je vraiment capable si ma raison, ma mémoire, mes connaissances interfèrent en cours de route? Mieux vaut tomber dans le plus profond des silences, à ce compte-là.

Mais voilà, j’ai choisi d’embrasser sa majesté le vivant. J’ai choisi bien naïvement d’écrire sur cette présence qui m’englobe de tous ses feux.

Et si ce n’était que cela. J’ai aussi à côté de moi ce maître du déguisement, cet artiste du faux, féru d’idéalisme et incapable d’accepter son sort et son humble condition de mortel. J’ai à côté de moi, surgissant de toute part, s’exprimant, piaillant, rugissant même, se dévoilant sans pudeur en espérant être reconnu et aimé, à côté de moi, dis-je, cet être déchiré par tant d’incompréhension, voué à la vie et à la mort, l’être insaisissable par excellence, l’homme, que j’espère un tant soit peu circonscrire pour le comprendre et l’aimer.

Vaut sans doute mieux que je ne me fasse pas d’idées et que j’accepte le tout sans rechigner, comme les saisons, la température, montagnes et vallées…

Contempler l’insaisissable mystère du vivant.

En silence.

"Avocat de la terre"

« (…) Plus Dieu est proche, plus le danger est grand. Dieu veut naître dans la flamme toujours plus haute de la conscience humaine. Et si celle-ci ne plonge pas ses racines dans la terre? Si ce n’est pas une maison de pierres capable d’abriter le feu divin, mais une misérable hutte de paille qui prend feu, se consume dans les flammes et disparaît? Dans ces conditions, Dieu a-t-il pu naître? Il faut pouvoir supporter Dieu. C’est le devoir suprême du porteur de l’idée. Il doit être l’avocat de la terre. Dieu s’occupera de ce qui le concerne. Dieu a besoin de l’homme pour une prise de conscience, de même qu’il a besoin de la limitation dans le temps et l’espace, enveloppe terrestre. »

C.G. Jung, Le divin dans l'homme.

4 août 2010

Pour une cuisson lente...

« Je suis à peu près certain que tous, qui que nous soyons, nous baignons et macérons dans la marmite du doute et de l’incertitude.

Un très petit nombre osera l’avouer.

Et la grande majorité n’ira même pas se pointer le nez au-delà des simples croyances conventionnelles, par paresse ou par peur de trouver ce qui pourrait vraiment l'ébranler. Elle parle volontiers cependant de ce que les choses devraient être. Elle le fait de façon tellement absolue d’ailleurs qu’elle se trouve délivrée de toute obligation de réflexion ultérieure, peut-être trop pénible. »

"Toute mon admiration"


Des paillettes d’or vibrent en chœur au sommet de l'arbre.

Comme cette musique me berce et m’apporte réconfort!



* Illustration: Mathieu Plante