30 juin 2010

Voir Ispahan avant de mourir

Je venais de les croiser au coin de la 1re avenue et de la 13e rue. Trois jeunes hommes dans la vingtaine qui sortaient d’un édifice ne payant pas de mine et qui accueille les musulmans de la région de Québec pour la prière. Une sorte de mosquée sans allure, ouverte au public le vendredi, comme il est écrit sur une pancarte. Quelque chose de très humble. Une amorce un peu piteuse d’établissement d’un lieu de rencontre pour cette communauté.

Ces jeunes étaient joyeux, tout sourire. Nous nous sommes salués et avons parlé de l’islam. Nous avons parlé de ce que j’en savais, de sa période de gloire de mille ans (de 600 à 1600) alors que l’occident végétait dans un moyen-âge sans grande envergure. Nous avons parlé de ses génies et ses saints : Avicenne, Ibn Arabi, Averroës et l’aimé de tous, Rumi, le poète et mystique soufi. L’influence de cette culture, je leur ai dit, me semble indéniable et ils me regardaient, flattés, comme si j’étais aussi un peu des leurs, et  ils m’ont invité avec empressement pour le prochain vendredi de prière ouvert à tous.

Je reconnais ma vision romantique de l’islam. Elle est embellie par ses histoires glorieuses, par ses fastes, ses savants, ses mille et une nuit, ses Andalousie de tolérance, son architecture, cette calligraphie arabe pleine de danses du ventre et de sensualité de harem. Je le reconnais.

Que j’aimerais voir Ispahan avant de mourir… !

Cependant, cette ouverture que je partage avec d’autres, cette ouverture à une culture différente pleine de mystères, de parfum et de musique exotique, parviendra-t-elle à amoindrir l’impact de ce glissement vers l’horreur que cette même culture nous a accoutumés depuis plusieurs années?

Je parle bien sûr du terrorisme et de l’intégrisme musulman.

Je viens de terminer la lecture du livre de Martin Amis, Le 2e avion, publié chez Gallimard. C’est un recueil de textes regroupés sous ce thème explosif (c’est le cas de le dire) qui nous touche de plein fouet.

D’entrée de jeu, l’auteur nous avertit que « l’ennemi est évidemment l’extrémisme. » Il se pose aussi ces questions fort à propos : « L’extrémisme n’a-t-il jamais fait quoi que ce soit pour quiconque? Où sont ses dons à l’humanité? Où sont ses œuvres? »

Bien sûr Amis admet aussi qu’il faut bien distinguer l’islam de l’islamisme : « Donc, pour nous répéter, nous respectons l’islam qui a apporté d’innombrables bienfaits à l’humanité et qui possède une histoire magnifique. Mais l’islamisme? Non, on ne peut pas vraiment nous demander de respecter une vague fondée sur une croyance qui réclame notre propre élimination. »

« Qu’est qui a mal tourné? », se demande donc l’auteur. Réponse : « Il n’est pas vraiment nécessaire de souligner les ressemblances entre l’islamisme et les cultes totalitaires du siècle dernier. Antisémites, antilibéraux, antiindividualistes, antidémocratique et, bien plus important, antirationnels, c’étaient également des cultes de la mort, stimulés par la mort et nourris par la mort » Et, deuxième réponse tout aussi éclairante : « (…) et le point focal spécifique est sans doute cette logique obscure qui dénie tout talent et toute énergie à la moitié (féminine) de la population du monde islamique. »

Quoi faire alors? Privilégier l’ouverture ou se méfier d’abord et avant tout?

Je repense aux trois jeunes musulmans dont j'ai parlé plus haut. Sont-ils l’avant-garde de l’ouverture et de la tolérance en nos terres ou bien l’instrument d’une terreur à venir? 

Ma lecture de l’histoire du 20e siècle m’incite à une extrême prudence. L’extrémisme, l’intégrisme, toute idéologie totalitaire transpirent d’une violence inacceptable, d’une folie sans nom devant laquelle nous devons nous protéger et lire lucidement les signes avant-coureurs.


Le "Bada"

Avant de décéder en 2006, l’écrivain et philosophe Jean-François Revel* avait confié à un ami qu’il désirait intituler le second volume de ses mémoires « le bada ».

Qu’est-ce que le bada ?

C’est une expression qui provient de la jeunesse de l’écrivain lorsqu’il habitait Marseille. « Le bada était le supplément gratuit de crème glacée qu’ajoutait au dernier instant le marchand de rues au sommet du cône ».

Pour Revel, le bada est ainsi devenu l’expression d’une générosité du cœur et représente ce qu’il y a de meilleur en l’homme à l’opposé de la mauvaise foi qui en est son côté sombre.


*Revel, grand pourfendeur des idéologies totalitaires, est aussi, chose moins connue, le père de Mathieu Ricard qui, lui, s’est fait un nom en tant que moine bouddhiste ayant beaucoup écrit sur cette religion ainsi que sur ses aspects plus spécifiques comme la méditation. Ensemble, le père et le fils ont par ailleurs produit un livre « Le moine et le philosophe » que je recommande fortement.

14 juin 2010

"Lire, c'est guérir!"

« Lire répond à un besoin, qu’il soit de réparation, de qualification, d’affirmation de soi, de confirmation, de glorification, de projection dans le futur, de projection dans le passé, de sublimation, d’exploration, d’identification, d’éducation, de désidentification, de dépersonnalisation, de création, ou tout simplement et avant tout, de jeu, c’est-à-dire l’entrée dans le domaine du vivant. »

Marc-Alain Ouaknin, Bibliothérapie (lire, c'est guérir), Seuil.

11 juin 2010

Ryszard Kapuscinski

J’ai été très impressionné par la lecture de livres du grand reporter polonais Ryszard Kapuscinski maintenant décédé (2007).

Il a le regard bienveillant et lucide de ces hommes qui ne se laissent pas leurrer par les idéologies et la propagande. C’est aussi avec beaucoup de justesse et de courage qu’il affirme que « le monde est menacé par le nationalisme, le racisme et le fondamentalisme. »

Son livre sur l’Afrique, Ébène, m’a fasciné. Imperium , qui se penche sur le sort du communisme en Europe décrit avec acuité une expérience qui a de quoi laisser perplexe.

Mais je retiens surtout ces commentaires tirés d'Autoportrait d’un reporter : « Ce qui importe c’est l’effort de volonté, la résistance à la dépression, la capacité de renoncement aux choses superflues. Tout cela doit être accompagné de bienveillance d’autrui. »

« Pour pratiquer le journalisme, il faut avant tout être bon. Les gens mauvais ne peuvent pas être de bons journalistes. Seul un homme bon essaie de comprendre les autres, leurs intentions, leurs fois, leurs intérêts, leurs difficultés, leurs tragédies. Et immédiatement, dès le premier instant, il s’identifie à leur vie. »

9 juin 2010

Ne pas s'exclure

« Analyser le monde, l’expliquer, le mépriser, cela peut être l’affaire des grands penseurs. Mais pour moi il n’y a qu’une chose qui importe, c’est de pouvoir l’aimer, de ne point le haïr tout en ne me haïssant pas moi-même, de pouvoir unir dans mon amour tous les êtres de la terre sans m’en exclure. »

Hermann Hesse.

7 juin 2010

Plonger dans l'inconnu

Rien ne me touche autant comme de voir une personne assise sur un banc public, seule avec un livre entre les mains, submergée dans un monde qui n’appartient qu’à elle. J’ai envie de m’arrêter et de lui demander avec d’infinies précautions, sans la brusquer, car elle est en train de naviguer sur un grand océan et que je ne dois pas être la cause d’un naufrage, lui demander donc ce qui la transporte si loin dans ce livre au point d’y plonger en oubliant tout autour d’elle.

Ce n’est pas une fuite du réel. Cette personne existe, habite un lieu que je partage avec elle. Elle vit librement, mais s’émeut aussi à la lecture de mots chargés d’un pouvoir qui m’est inconnu. Elle enfourche un rayon de lumière comme une sorcière son balai et franchit des distances hors des espaces habituels pour mieux gouter à la nourriture des dieux.

Je sais que nous vivons dans un monde d’images fabriquées. Je connais la prodigieuse fascination de la télévision, du cinéma, de la vidéo, de « You Tube » auprès de la population. Ces médias sont la crème qui nage en surface de notre représentation du monde. Ils asservissent notre imaginaire.
Je n’apprends rien à personne en affirmant qu’une image vaut mille mots. Ce dicton appartient à la sagesse populaire. Mais que diriez-vous si je proclamais qu’avec mille mots nous pouvons créer aussi tout un univers? Que cet univers pourrait exhiber un nombre infini d’images qui nous appartiennent puisque nous en serions les cocréateurs avec l’écrivain?

Je parle d’imagination active et passive. Je parle des mots qui suscitent une attention accrue de notre part, ce côté actif qui vient nourrir notre propre créativité. L’imagination passive, en contrepartie, se nourrit des médias, s’assoit sur une tonne d’images prédigérées, toutes faites. Elle n’agit pas, elle se laisse bercer et berner. La facilité…

Rien ne me touche autant qu’un être qui invente avec un autre (l’écrivain et le lecteur) une réalité ainsi qu’une compréhension de cet infini partagé.

4 juin 2010

Sur la démocratie

« Quel que soient les gens qui composent le peuple — qu’il s’agisse de soldats, de fonctionnaires, d’ouvriers et d’employés (mais aussi de journalistes, de présentateurs de radio et de tv) de prêtres, de lettrés, de terroristes, d’adolescents — nous ne voulons pas de leur pouvoir, ni de leur souveraineté. Nous ne voulons pas les craindre. Nous voulons et nous devons nous défendre à temps si nécessaire contre leurs prétentions. »

Karl Popper, Toute vie est résolutions de problèmes.

3 juin 2010

Un fleuve, ses deux rives.


Comme des millions d’autres habitants du Québec, je partage la grande symphonie du fleuve Saint-Laurent. Je partage une admiration pour sa force tranquille, sa beauté, sa vie en marche qui coule comme les jours en lien indissoluble avec l’éternité. Ce fleuve, je l’ai dans la peau et dans mon ventre. Je l’ai entre les doigts aussi, toujours le même, toujours différent, nourrissant ma vie et mon imaginaire.

J’ai habité sur ses deux rives, Québec et Lévis. Combien de fois ai-je pu traverser mon fleuve? Je ne l’ai pas compté, mais une chose est sûre, j’ai arpenté sa distance entre les quais des deux villes d’innombrables fois. J’ai même été matelot sur les traversiers la durée d’un été, lorsque j’étais encore étudiant.

Ce passage entre les rives, ces allers retour constants d’une ville à l’autre ont gravé une empreinte profonde dans mon esprit. À mon insu, s’est développée une sorte de mythologie de la traversée, un rite du passage constamment renouvelé, une mise en scène métaphorique mettant en lumière les deux protagonistes qui hantent depuis toujours la conscience de l’homme. Je veux parler du temps, de la durée dont nous sommes les prisonniers et dont il faut trouver un sens puisque nous sommes là, à vivre puis à mourir, sans que rien n’y change. Je veux parler, en second lieu, du sentiment impérissable d’éternité, du dépassement de la simple durée, d’un voyage où l’âme se voit libre de toute limitation.

Vers le milieu du fleuve, à chaque traversée, les deux bateaux se croisent qui font la navette entre les deux rives. Une nuit, en rêve, j’étais accoudé au bastingage et je vis l’autre traversier se rapprocher jusqu’à frôler le mien. Sur cet autre bateau, il y avait moi-même…

En souriant, nous eûmes le temps de nous serrer la main et disparaître chacun de notre côté.

Depuis lors, je sais que j’habite les deux rives. Deux êtres aux perceptions différentes, mais qui se retrouvent et s’harmonisent sur leur fleuve en s’échangeant leurs vues suite à leurs expériences vécues dans chacun des mondes dont la réalité ne me pose plus de doute.

2 juin 2010

Les mots de la douleur

Il y a des histoires touchantes, des histoires tragiques en nombre incalculable autour de nous. Il y a tant de mots à écrire avec les larmes et le sang de l’homme; tant de mots qui relatent son périple étrange et obscur sur cette terre ici-bas.